AEX
-3.4300
L'Américain Greg Kelly, jugé depuis près d'un an et demi à Tokyo, sera fixé jeudi sur son sort dans l'affaire des rémunérations que le constructeur automobile japonais Nissan aurait promises à son patron déchu Carlos Ghosn, aujourd'hui réfugié au Liban.
Ce dénouement est particulièrement attendu au Japon comme à l'étranger, car c'est le premier jugement au pénal sur une partie du fond de la tentaculaire affaire Ghosn.
Celle-ci avait démarré au Japon par l'arrestation fracassante en novembre 2018 du grand patron de l'alliance Renault-Nissan, libéré sous caution l'année suivante.
Greg Kelly, ancien responsable des affaires juridiques de Nissan, avait été arrêté le même jour que M. Ghosn et pour le même chef d'accusation initial: avoir omis de déclarer aux autorités boursières japonaises des rémunérations que le Franco-libano-brésilien devait percevoir ultérieurement de Nissan.
Comme Carlos Ghosn, Greg Kelly, 65 ans, clame son innocence depuis le début.
Mais alors qu'il était dans l'ombre de son illustre co-accusé, ce juriste américain calme et discret s'est retrouvé en première ligne depuis la fuite rocambolesque de Carlos Ghosn du Japon fin 2019.
Cloîtré depuis au Liban qui n'extrade pas ses ressortissants, M. Ghosn est hors d'atteinte de la justice japonaise qui voulait aussi le juger pour des soupçons d'abus de confiance ne visant cette fois-ci que lui.
- "Dossier faible et restreint" -
"Kelly avait été arrêté dans l'espoir qu'il retourne sa veste et témoigne contre Ghosn" mais après la fuite de ce dernier, "les procureurs se sont retrouvés avec un dossier faible et restreint contre Kelly", commente pour l'AFP Stephen Givens, un avocat d'affaires à Tokyo qui suit cette saga économico-judiciaire depuis le début.
Le parquet a requis deux ans de prison ferme à son encontre, lui reprochant d'avoir aidé M. Ghosn à dissimuler aux autorités boursières nippones 9,1 milliards de yens (près de 70 millions d'euros) de rémunérations sur la période 2010-2018 que Nissan prévoyait de lui verser ultérieurement.
Les actions qu'il a menées avec d'autres responsables de Nissan visaient à "trouver un moyen légal" de garder M. Ghosn dans le giron du groupe après sa retraite, pour éviter qu'il ne rejoigne une société concurrente, a assuré M. Kelly durant son procès.
Ni les montants, ni les moyens de paiement ni le calendrier de ces versements n'étaient gravés dans le marbre, et donc Nissan n'avait pas besoin de publier ces données, a plaidé Yoichi Kitamura, l'un des avocats de M. Kelly qui vise l'acquittement de son client, bien que cela soit extrêmement rare au Japon.
"Nous ferons automatiquement appel" en cas de condamnation, même à une peine avec sursis, avait assuré M. Kitamura à l'AFP en septembre dernier.
Les procureurs ont requis une amende symbolique de 200 millions de yens (1,5 million d'euros) contre Nissan, poursuivi en tant que personne morale dans ce dossier, et qui a lui plaidé coupable. Sollicité par l'AFP, le groupe n'a pas souhaité s'exprimer avant le verdict.
- Peine avec sursis? -
"Un acquittement (de M. Kelly, NDLR) serait humiliant pour les procureurs et pour Nissan" estime M. Givens.
"Cela saperait la légitimité du dossier originel contre M. Ghosn et conforterait son affirmation selon laquelle il s'agissait d'une +révolution de palais+ menée par de hauts responsables de Nissan avec l'aide des procureurs", ajoute-t-il.
Sans surprise, Carlos Ghosn défend Greg Kelly, une "victime" selon lui. "S'il est coupable, alors beaucoup de Japonais (de Nissan, NDLR) devraient aussi être en prison", a estimé M. Ghosn lors d'une conférence de presse en ligne fin 2021.
Au Japon, l'issue du procès sera aussi scrutée de près car c'est "la première fois" dans le pays qu'une affaire sur la transparence des rémunérations des patrons est portée devant un tribunal, précise à l'AFP Keisuke Matsuoka, un professeur de droit de l'université Senshu à Tokyo.
Mais comme M. Kelly n'aurait pas dû avoir le premier rôle dans ce procès, "il est difficile de croire qu'il écopera d'une peine sévère", selon M. Matsuoka.
"Les juges font face à un dilemme (...). Un compromis aisé serait de déclarer M. Kelly coupable mais en assortissant sa peine d'un sursis", pense M. Givens.
(G.Gruner--BBZ)