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Une équipe internationale de procureurs cherchant à traduire en justice des hauts gradés russes pour l'invasion de l'Ukraine a déjà rassemblé des "milliers" d'éléments de preuve, a déclaré mercredi à l'AFP le chef de l'agence judiciaire européenne Eurojust.
Les procureurs passent au crible des écoutes téléphoniques, vidéos, images satellites et témoignages, constituant une montagne d'éléments de preuves qui finiront par se chiffrer en "centaines de milliers", a déclaré Ladislav Hamran lors d'un entretien avec l'AFP à La Haye.
"Nous parlons d'une quantité de preuves sans précédent", a-t-il souligné depuis le siège de l'agence. "D'autres soumissions arrivent à Eurojust en provenance de différents pays (...) à la fin nous parlerons de centaines de milliers d'éléments de preuve", a-t-il ajouté.
L'agence judiciaire européenne coordonne une sorte de parquet composé de représentants de plusieurs pays européens, des États-Unis et de la Cour pénale internationale (CPI), qui travaillent ensemble pour traduire en justice les dirigeants russes pour l'invasion de l'Ukraine.
Créé il y a à peine trois mois, le Centre international pour la poursuite du crime d'agression (ICPA) vise à combler une faille dans le droit international particulièrement décriée depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
Ce bureau stocke les preuves dans un établissement sécurisé et les traduit en anglais et en ukrainien, afin qu'elles puissent être utilisées par un futur tribunal.
Parfois surnommé "Nuremberg 2.0", l'ICPA est la première tentative depuis les tribunaux pour crimes de guerre des nazis de monter un dossier contre les hauts dirigeants d'un pays pour le crime d'agression.
- 'Écoutes téléphoniques' -
L’ICPA est historique à bien des égards: son équipe est la première à collecter des éléments de preuves alors qu’une guerre est toujours en cours, mais aussi la première à traiter une telle quantité de preuves numériques.
Le dossier est un mélange intéressant de preuves "classiques" des procureurs, comme des témoignages de témoins et de victimes, mais aussi d'éléments de haute technologie, souligne M. Hamran .
"Nous recevons des écoutes téléphoniques, nous obtenons des images aériennes, notamment des images satellites, de drones. Nous collectons des vidéos, des photographies, ainsi que des scans 3D qui documentent dans quelle mesure différents bâtiments ont été endommagés (...) comment ils ont été détruits", a-t-il expliqué.
Les appels à la création d'un tribunal spécial se sont multipliés depuis le début de l'invasion russe, la CPI n'étant compétente que pour juger les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité perpétrés en Ukraine.
La juridiction, qui siège également à La Haye, a émis en mars un mandat d'arrêt contre le Président russe Vladimir Poutine pour la déportation présumée d'enfants ukrainiens.
Il y a un long chemin à parcourir avant qu'un dirigeant russe puisse être traduit en justice, au cours duquel il faudra répondre à la question épineuse de la forme que prendra ce tribunal, alors que certains plaident pour un tribunal hybride composé de juges ukrainiens et d'autres nationalités.
M. Hamran a déclaré que son agence n'était pas impliquée dans ces "discussions politiques" et que sa priorité était de faire en sorte qu'un dossier solide soit disponible en anglais et en ukrainien, qui pourra être utilisé par tout futur tribunal.
"Nous ne voulons pas perdre de temps et nous nous préparons également à différents scénarios qui pourraient survenir", a déclaré M. Hamran.
Le droit international définit clairement le crime d'agression comme étant commis par quelqu'un effectivement en mesure de "contrôler" ou de "diriger l'action politique ou militaire d'un État" qui en envahit un autre.
Cette définition peut ne comprendre que M. Poutine, ou une "troïka" interne composée d’une poignée de conseillers, ou encore un cercle plus large de ministres et de chefs militaires.
M. Hamran a confirmé que les preuves recueillies jusqu'à présent visent les "dirigeants politiques et militaires du pays", tels que définis dans le droit international, mais a noté que des pays impliqués dans l'ICPA ont des définitions plus larges.
"C'est le cas également de l'Ukraine, où l'enquête porte sur une échelle beaucoup plus large de personnes."
(K.Lüdke--BBZ)