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Des inconnus approchent par la rivière. "Soldats ou paramilitaires?" interroge au talkiewalkie le commandant de l'ELN. Dans la jungle qui abrite la plus puissante guérilla de Colombie, la loi des armes continuent de régner malgré les négociations en cours avec le gouvernement.
Trois mois se sont écoulés depuis que l'Armée de libération nationale (ELN), qui défie l'Etat colombien depuis 1964, a conclu un cessez-le-feu bilatéral avec le gouvernement du président de gauche Gustavo Petro, dans le cadre de pourparlers entamés fin 2022. La plus longue trêve de l'histoire de l'insurrection de l'ELN fondée dans le sillage de la révolution cubaine.
Opportunité rare, un haut-gradé de l'ELN a accordé fin octobre une interview à une équipe de l'AFP, dans la jungle du Choco, l'un des départements les plus troublés du pays, sur la côte Pacifique.
Pour le commandant Lucas, 35 ans, la violence n'a pas baissé d'intensité depuis le cessez-le-feu, la faute, selon lui, à une "alliance" entre les forces de sécurité et les paramilitaires narcotrafiquants du Clan del Golfo.
- "Cessez-le-feu sous le feu" -
"Tant qu'il y aura collusion (...) il sera très difficile de faire avancer un processus politique", déclare-t-il, fusil mitrailleur toujours au côté, visage dissimulé par un foulard aux habituelles couleurs rouge et noire de ce groupe armé d'extrême gauche.
Depuis les environs de la ville de Quibdo, plusieurs heures de pirogue dans les mains d'une petite escouade de l'ELN ont été nécessaires pour accéder à cette jungle montagneuse où règne une chaleur étouffante.
Ces hommes et femmes sont de jeunes afrocolombiens et des indigènes. Eux aussi disent se défendre face à "l'ennemi", l'armée et les "paramilitaires", associés pour conquérir les territoires sous leur contrôle. Accusations récurrentes du groupe armé rejetées par les autorités.
Selon le think-tank colombien Indepaz, les rebelles sont eux aussi responsables de plusieurs violations du cessez-le-feu, en particulier dans le Choco, forçant les populations à vivre barricadées pendant des jours.
La région est le fief du "Front de guerre occidental" de l'ELN, l'une des principales composantes de la guérilla qui a déjà ouvertement critiqué les pourparlers en cours.
Dans le Choco, "nous parlons d'un cessez-le-feu sous le feu", estime le commandant Lucas, "il y a encore des actions offensives contre nos unités".
- "De la tête à la queue" -
Désormais plus vieille guérilla encore active en Amérique latine (depuis le désarmement des FARC marxistes en 2016), l'ELN compterait environ 5.800 combattants et entend prendre le pouvoir pour établir un "gouvernement démocratique et populaire".
Avec son autre fief dans le nord-est frontalier du Venezuela, l'ELN opère dans 19% des 1.100 municipalités colombiennes, soit deux fois plus qu'en 2018. Son empreinte est aussi marquée dans certaines zones urbaines et milieux universitaires.
L'ELN entend prendre le pouvoir par les armes pour établir un "gouvernement démocratique et populaire", incluant nationalisations et redistributions de terres. Elle se caractérise par la relative autonomie de ses unités et structures sur le terrain, ainsi qu'une influence dans certaines zones urbaines et le milieu universitaire.
Des négociations ou tentatives de discussions ont déjà échoué à cinq reprises avec divers gouvernements. Le commandant Lucas assure que cette fois-ci l'ELN ne souhaite pas négocier "à la hâte".
Les experts estiment que le mode de fonctionnement décentralisé du groupe et la relative autonomie de ses unités sur le terrain pourrait compliquer les négociations. Une vision que réfute le commandant Lucas : L'ELN "est unifiée" de "la tête à la queue", des négociateurs du mouvement, qui vivent à Cuba depuis 2018, jusqu'à la base sur le terrain.
Le Front occidental "n'a jamais voulu (...) être une structure dissidente. L'ELN est centralisée dans ses décisions. Mais nous conservons le droit politique d'exprimer une opinion", nuance-t-il.
- Un "tigre" sans "griffes"? -
Le commandant Lucas réfute également les accusations d'extorsion, de "taxes" illégales, d'implication dans le trafic de cocaïne et les mines illégales.
L'ELN a reconnu avoir enlevé "par erreur" pendant 12 jours le père du footballeur star colombien et joueur de Liverpool, Luis Diaz.
L'incident est venu rappeler cette pratique du kidnapping contre rançon et les milliers d'otages civils raflés par les FARC pour financer leur "lutte populaire".
Lundi le commandant en chef Antonio Garcia a réaffirmé que l'ELN, qui détiendrait actuellement une trentaine d'otages, n'entendait pas y renoncer tant que le gouvernement ne lui assurerait pas une alternative de financement.
Le futur désarmement est aussi au cœur des inquiétudes. Pour le commandant Lucas, les FARC ont trop vite rendu leurs armes après l'accord de 2016.
"Nous pensons que les armes devraient toujours être à la disposition du peuple (...) Comment accepter qu'on enlève au tigre les griffes qui lui permettent de se défendre?".
(G.Gruner--BBZ)