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Des échauffourées ont éclaté mercredi entre des milliers de manifestants et la police dans une petite ville de l'Oural après la condamnation d'un opposant régional critique de l'assaut en Ukraine, un événement rare en Russie dans un contexte de répression tous azimuts.
Le Comité d'enquête de Russie a fait état de blessés après ces heurts, dont des policiers, et annoncé l'ouverture d'une enquête pour organisation d'"émeutes de masse" et violences contre la police, des crimes passibles de lourdes peines de prison.
Les manifestants à Baïmak, dans la république du Bachkortostan, ont été dispersés avec du gaz lacrymogène tandis qu'une vingtaine de personnes ont été arrêtées, selon l'ONG spécialisée OVD-Info, une organisation classée "agent de l'étranger" par l'Etat russe.
Quelque 6.000 personnes protestaient devant le tribunal où était jugé le militant Faïl Alsynov, a rapporté cette organisation. Dans des vidéos relayées sur les réseaux sociaux, on pouvait voir une foule de personnes chaudement vêtues jeter des boules de neige par -20°C sur des policiers munis de boucliers et d'autres scandant : "Honte !".
Des images ont également montré des manifestants s'essuyant les yeux après l'utilisation du gaz lacrymogène par les forces de l'ordre dans cette ville de quelque 17.000 habitants située non loin du Kazakhstan voisin.
Les protestataires encourent désormais jusqu'à 15 ans de prison si l'accusation de participation à une "émeute" est retenue.
Selon OVD-Info, "des dizaines de personnes ont été blessées" et l'accès à l'internet mobile est "presque" totalement coupé sur place.
Une telle explosion de colère dans la rue est devenue rarissime en Russie, où toute critique du pouvoir peut être punie d'une peine de prison.
Les précédents mouvements d'ampleur dans la rue remontaient à l'automne 2022, au moment de la campagne de mobilisation de centaines de milliers de réservistes, des civils donc, pour renforcer les rangs de l'armée engagée en Ukraine.
- "Pour la justice" -
Faïl Alsynov, un militant de 37 ans qui lutte notamment contre l'exploitation des ressources énergétiques au Bachkortostan, s'était déjà vu infliger une amende l'an dernier pour avoir critiqué la campagne de mobilisation de l'armée russe.
Il l'avait qualifiée de "génocide du peuple bachkir", affirmant que l'offensive de Moscou en Ukraine n'était "pas notre guerre", selon des médias.
Mercredi, une affaire distincte lui a valu une condamnation à quatre ans de prison pour "incitation à la haine". C'est ce jugement, rendu à huis clos, qui a conduit des milliers de ses partisans à manifester devant le tribunal.
Les faits remontent à l'année dernière : dans un discours contre l'exploitation de mines d'or, M. Alsynov avait utilisé deux mots en bachkir, la langue locale, qualifiés de racistes par les autorités.
Le militant affirme depuis que ses propos ont été mal traduits en russe : "Je ne reconnais pas ma culpabilité. J'ai toujours lutté pour la justice, pour mon peuple, pour ma république", s'est-il encore défendu après l'annonce du verdict. "Nous ferons appel".
Dans son jugement, le tribunal de Baïmak a quant à lui statué que les propos de M. Alsynov avaient eu pour but d'"inciter à la haine et d'humilier la dignité d'un groupe de personnes sur la base de la race, de la nationalité, de la langue ou de l'origine".
La veille, le nom de Faïl Alsynov avait été ajouté sur la liste établie par les autorités russes des personnalités "terroristes et extrémistes" pour sa participation à une organisation interdite au Bachkortostan, a constaté l'AFP.
Dans une vidéo sur Telegram, des combattants bachkirs engagés en Ukraine ont de leur côté demandé "l'envoi" du militant et de ses partisans sur le front auprès d'eux pour "les rééduquer et leur apprendrons à aimer la patrie".
Le ministère de l'Intérieur de la région avait appelé mardi à ne pas manifester devant le tribunal.
Ce rappel à l'ordre des autorités intervenait au lendemain d'une première manifestation d'ampleur en soutien à Faïl Alsynov à Baïmak, au cours de laquelle plusieurs centaines de personnes avaient réclamé au président Vladimir Poutine, selon des vidéos sur les réseaux sociaux, la démission du gouverneur régional Radiï Khabirov, qui avait critiqué ce militant.
"Nous ne sommes pas des extrémistes ! Nous ne sommes pas des Nazis !", y lançait un homme debout sur un monticule de neige. "Nous voulons juste que la loi soit respectée !".
(B.Hartmann--BBZ)