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Pour la première fois depuis l'ouverture du procès du déraillement de la rame d'essai du TGV Est, qui a causé la mort de 11 personnes en novembre 2015, les endeuillés et rescapés de l'accident ont été entendus mardi à la barre, apportant à ces audiences austères une part d'humanité.
Cachant parfois difficilement son agacement face aux réponses souvent stéréotypées et toujours atrocement techniques des six prévenus, la présidente de la 31e chambre du tribunal de Paris, Marie Debue, avait souhaité que les mots des parties civiles apportent "l'humanité qui manque un peu, pour l'instant, dans ces débats".
Dans une salle d'audience comble sur les bancs des parties civiles et clairsemée du côté de la défense, celles et ceux qui se sont exprimés à la barre, parfois en sanglots, ont fait montre d'une exceptionnelle dignité en rappelant les figures qui d'un fils, qui d'un père, qui d'un frère ou encore d'un oncle, d'un mari ou d'une soeur, et toujours cette "douleur qui reste intacte".
"Je ne comprends toujours pas comment on a pu faire autant d'erreurs et avoir autant d'incompétence sur une machine de guerre lancée à cette vitesse", dit Patrick Rolland, lui-même grièvement blessé dans l'accident qui a coûté la vie à son frère Alain, âgé de 60 ans.
Bientôt à la retraite, Alain avait invité à bord plusieurs membres de sa famille pour cette dernière marche d'essais du TGV Est dont son neveu Thomas, alors âgé de 16 ans, qui a décrit l'effroi de l'adolescent d'alors se retrouvant, "terrifié", dans "l'eau, la boue et des morceaux de chair humaine".
- "Insoutenable" -
Jacques Landais, le père de Jérémy, technicien SNCF-Réseau mort dans l'accident à l'âge de 27 ans, exprime son "extrême déception" face aux dénégations des prévenus.
"Rejeter la responsabilité sur les autres, c'est insoutenable", résume-t-il la voix ferme mais sans colère.
"La nécessité d'en dire le moins possible, de protéger son entreprise surpasse l'honnêteté, le respect des parties civiles (...) un détecteur de mensonges aurait été bien utile durant ce procès", ironise tristement Jacques Landais.
"Quelle que soit l'issue de ce procès, il y aura toujours des remises de peines pour les coupables. Pour les victimes, c'est à perpétuité", dit-il.
Au cours de leur interrogatoire, les trois prévenus, Denis T., le conducteur du TGV, Francis L. et Philippe B., deux cadres chargés de le renseigner respectivement sur les points de freinage et sur diverses particularités de la voie, se sont rejeté la responsabilité du déraillement les uns sur les autres.
Les trois sociétés (SNCF, SNCF-Réseau et Systra, la société en charge des essais) également poursuivies pour "homicides et blessures involontaires par maladresse, imprudence, négligence ou manquement à une obligation de sécurité", ont nié toute responsabilité.
Tout au plus, le représentant de la SNCF a admis à l'audience ne pas avoir été "parfait" dans l'organisation des essais. "On a été mauvais", a-t-il concédé avant d'ajouter aussitôt "mais pas mauvais sur tout", provoquant des soupirs sur les bancs des parties civiles.
Lundi soir, au terme du dernier interrogatoire des prévenus, Me Gérard Chemla, avocat d'une cinquantaine de parties civiles, n'avait pu dissimuler son dépit.
"Vous êtes le sixième à cette barre, et vous êtes le sixième qui nous dit: +C'est pas nous+", s'est agacé l'avocat. "Ce +on n'a rien à se reprocher+ est insupportable", a ajouté Me Chemla.
L'enquête a établi que ni le matériel ni la voie ne pouvaient être mis en cause pour expliquer le déraillement du TGV, qui transportait 53 personnes, dont 35 "invités" parmi lesquels 2 adolescents.
Le TGV a abordé une courbe à 265 km/h, très largement au-dessus des 176 km/h prévus à cet endroit. Il a déraillé 200 mètres plus loin, heurtant le parapet du pont au-dessus du canal de la Marne au Rhin à la hauteur d'Eckwersheim (Bas-Rhin), à 20 km de Strasbourg, à une vitesse estimée de 243 km/h.
Le procès est prévu jusqu'au 16 mai.
(F.Schuster--BBZ)