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Dans une petite pièce du théâtre de marionnettes de Kiev, une créatrice plisse les yeux pour distinguer les éléments de décors qu'elle fabrique à la seule lumière d'une bougie.
La jeune femme et ses collègues travaillaient depuis des mois à concevoir leur spectacle, mais la Première a été repoussée de début à fin juin à cause des coupures de courant à répétition dues aux attaques de missiles et de drones qui ont détruit une large part des infrastructures énergétiques du pays, forçant les autorités à rationner l'électricité.
La capitale ne fait pas exception, avec des quartiers privés de courant plusieurs heures par jour, les bombardements russes ayant divisé par deux la production électrique de l'Ukraine depuis l'hiver, selon le président Volodymyr Zelensky.
Assis dans son bureau, le directeur du théâtre, Igor Gouly, essaye de ne pas se laisser abattre. "Nous devons nous retrousser les manches et réfléchir à la manière de devenir plus autonomes par rapport au réseau de la ville" explique-t-il.
Quand les responsables du réseau électrique ukrainien ont annoncé que les réparations pourraient prendre des années, le directeur de 31 ans a pris conscience de l'ampleur du problème et cherche à se doter de panneaux solaires ou de générateurs industriels.
"Il est encore difficile d'imaginer une alimentation électrique alternative pour ce théâtre, et nous ne disposons pas d'un tel budget. Nous cherchons", déplore-t-il, avant de conclure que la réussite sourira à ceux qui seront "capables d'être indépendants" du point de vue énergétique.
- Sourire et serrer les dents -
C'est déjà le cas de nombreux restaurants de Kiev, qui se sont dotés de générateurs tournant à plein régime dans les rues de la capitale.
Ivan Pantchouk, chef de l'établissement huppé Kanapa, a décidé d'adapter son menu, cuisant ses plats sur un poêle à bois et servant parfois ses clients à la lueur de bougies.
"Bien sûr, nous avons dit adieu à certains plats parce que nous les cuisinons quand il y a de la lumière", explique-t-il prêt du feu qui ronfle. "La cuisine s'est adaptée. Nous étions prêts".
Le fondateur d'une chaîne de restaurants en Ukraine, Dmytro Boryssov, a déclaré que ses entreprises utilisaient des générateurs achetés lors des pannes précédentes mais reconnaît que d'autres solutions plus durables sont nécessaires.
"Nous prendrons une décision et proposerons quelque chose de plus systémique, une alimentation électrique autonome", a-t-il assuré. "Nous travaillons donc avec le sourire et en serrant les dents".
Dans tout Kiev, les habitants s'adaptent à cette réalité: il faut par exemple prévoir quand rentrer ses courses en ascenseur dans les immeubles de grande hauteur. On échange aussi trucs et conseils en ligne pour garder les aliments au frais.
Le Premier ministre Denys Chmygal a demandé aux fonctionnaires d'éteindre les climatiseurs dans les bâtiments gouvernementaux et aux autorités régionales de limiter l'éclairage public.
En outre, l'Ukraine importe du courant de pays voisins et implore ses alliés de fournir plus de défenses antiaériennes pour pouvoir protéger ses infrastructures.
- "Gagner" -
"Nous avons besoin de votre équipement et de votre soutien financier pour réagir maintenant et maintenir une vie normale", a déclaré M. Zelensky lors d'une conférence sur la reconstruction à Berlin.
De son côté, la Russie, qui s'offusque que l'Ukraine vise ses terminaux pétroliers en représailles, estime que les infrastructures civiles sont une cible légitime car les forces armées ukrainiennes ont besoin d'énergie.
Dans les couloirs obscurs du théâtre de marionnette, l'artiste en chef Mikola Danko juge peu probable un retour rapide à la vie normale.
Mais si l'invasion russe a bouleversé la capacité du théâtre à planifier ses représentations, à répartir ses coûts et ressources, il n'abandonne pas.
"Nous devons nous en accommoder d'une manière ou d'une autre. Il n'y a qu'une seule option: gagner la guerre", conclut-il.
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(Y.Berger--BBZ)