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La justice thaïlandaise a destitué mercredi le Premier ministre Srettha Thavisin, mis en cause pour avoir nommé un ministre condamné pour corruption, plongeant le pays dans un nouveau cycle d'instabilité.
Les juges ont décidé, à 5 votes contre 4, de "mettre fin" à la fonction de M. Srettha, a déclaré le juge Punya Udchachon, lors de la lecture de la décision.
Le dirigeant n'a pas "montré d'honnêteté en nommant un ministre" condamné en 2008 à une peine d'emprisonnement, a-t-il poursuivi.
"Je respecte la décision. Je répète que, pendant presque un an à ce poste, j'ai fait de mon mieux pour diriger le pays avec honnêteté", a réagi Srettha Thavisin, depuis le siège du gouvernement à Bangkok.
"Je suis triste d'être considéré comme un Premier ministre malhonnête", a-t-il ajouté.
Sa destitution, moins d'un an après sa nomination, plonge le royaume dans l'inconnu, en l'absence de candidat clair pour sa succession, dans un contexte de stagnation économique et d'inquiétudes pour l'état de la démocratie.
Le vice-Premier ministre Phumtham Wechayachai prend les fonctions de Premier ministre par intérim, en attendant un vote à l'Assemblée nationale, qui n'a pas encore été programmé.
La deuxième économie d'Asie du Sud-Est a une longue histoire d'instabilité et d'interventions de l'armée ou de la justice dans le système politique, au nom d'un statu quo qui favorise le bloc militaro-royaliste, selon le camp pro-démocratie.
La semaine dernière, la Cour constitutionnelle a dissous le principal parti d'opposition et banni pour dix ans son leader pro-démocratie Pita Limjaroenrat, une décision contestée par les Nations unies et les groupes de défense des droits humains.
La destitution de Srettha Thavisin est "absurde", a lancé sur X Phil Robertson, directeur adjoint pour l'Asie de l'ONG Human Rights Watch. "Regardez les investisseurs étrangers se diriger vers la sortie."
- "décision inattendue" -
Srettha Thavisin était accusé d'avoir enfreint des règles éthiques fixées dans la Constitution, en nommant comme ministre Pichit Chuenban, un avocat condamné en 2008 à six mois de prison dans une affaire de corruption.
La Constitution entrée en vigueur en 2017 indique qu'un ministre doit avoir une "intégrité évidente" et une attitude qui ne soit pas contraire à "des standards éthiques".
En dépit du départ de M. Pichit, la Cour constitutionnelle avait accepté d'examiner une plainte déposée par 40 sénateurs pro-armée demandant la destitution de M. Srettha.
Leurs accusations ont fait écho aux divisions des années 2000 et 2010, entre le milliardaire Thaksin Shinawatra, dont MM. Srettha et Pichit sont proches, et les élites conservatrices alignées avec le roi et l'armée.
Il y un an, les deux camps ont mis de côté leurs vieilles rancunes au moment de former une coalition qui a propulsé au pouvoir M. Srettha, issu du parti Pheu Thai contrôlé par la famille Shinawatra.
Avant la décision, les observateurs s'attendaient au maintien de Srettha Thavisin, qui se défendait de toute manoeuvre illégale, notamment en raison de l'absence de remplaçant désigné.
"C'est une décision inattendue, qui va changer la perspective sur la politique thaïlandaise. Tout peut arriver", a déclaré à l'AFP l'analyste politique Yuttaporn Issarachai.
L'Assemblée nationale doit désormais voter pour désigner un nouveau Premier ministre.
Le parti Pheu Thai, qui dispose du plus grand nombre de députés au sein de la coalition au pouvoir, pourrait proposer un nom issu de ses rangs. Celui de la fille de Thaksin Shinawatra, Paetongtarn Shinawatra, est régulièrement cité pour prendre un jour le poste.
- "pas la première fois" -
"Ce n'est pas la première fois que des obstacles se dressent sur le chemin de Pheu Thai. Mais nous allons continuer à travailler sans nous arrêter", a réagi le parti Pheu Thai, sur X. Thaksin Shinawatra et sa soeur Yingluck ont notamment été renversés par un coup d'Etat, respectivement en 2006 et 2014.
"Je pense que la politique thaïlandaise va continuer son cours comme d'habitude", a déclaré aux journalistes Somchai Swangkarn, l'un des sénateurs qui a soutenu la plainte visant M. Srettha.
"Nous n'avons fait que notre travail", a-t-il insisté.
Promoteur immobilier entré en politique l'an dernier, M. Srettha s'est engagé en faveur du mariage pour tous, adopté en juin après des années de combat de la communauté LGBT+.
Mais une majorité de Thaïlandais rejetaient sa politique, selon un sondage paru en juin.
Ses projets de recriminalisation du cannabis et d'allocation de 10.000 bahts (250 euros) à plus de 40 millions de Thaïlandais ont notamment provoqué des remous dans le pays et au sein de sa coalition.
Une majorité d'électeurs ont voté en 2023 pour les progressistes de Move Forward (MFP), qui proposaient de tourner la page de vingt ans de politique en Thaïlande dominée par le clan Shinawatra et les généraux.
Le programme du parti comprenait notamment une réforme de la loi de lèse-majesté, une nouvelle Constitution, la réduction du budget de l'armée, ou la fin de certains monopoles économiques.
Accusé de vouloir déstabiliser la monarchie, le MFP a été dissous la semaine dernière, mais ses membres ont annoncé dans la foulée la création du Parti du peuple, avec l'objectif d'accéder au pouvoir au prochain scrutin national.
(K.Müller--BBZ)