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Karla Sofía Gascón, 52 ans, a parcouru un long chemin avant de marquer l'histoire du festival de Cannes et des luttes LGBT+, en devenant la première actrice trans à recevoir le prestigieux prix d'interprétation féminine pour son rôle dans "Emilia Perez", en salles mercredi.
L'actrice espagnole, qui a fait sa transition de genre à 46 ans, joue dans ce film de Jacques Audiard le rôle d'un baron de la drogue mexicain impitoyable, Manitas, qui décide de devenir une femme, Emilia. Un personnage qu'elle a insisté pour interpréter aussi bien avant sa transition de genre à l'écran qu'après.
"Je ne vais pas mentir. Pour moi, jouer le rôle de Manitas était bien plus amusant que celui d'Emilia Perez. Incarner un trafiquant de drogue mexicain, avec une voix différente de la mienne, et chanter... Cela me semblait être un travail magnifique", a-t-elle expliqué à Cannes.
Le prix d'interprétation a été décerné de façon collective à l'ensemble des actrices du film mais c'est évidemment la distinction de Karla Sofía Gascón qui marque l'histoire, puisque le prix avait toujours été jusque-là décerné à des personnes cisgenre.
Elle, qui aimerait que les personnes trans "arrivent à croire qu'il est toujours possible de s'améliorer", a dédié son prix à la lutte contre les discriminations. Et "à toutes les personnes trans qui souffrent tant".
Une tâche encore ardue: quelques instants après la remise du prix, la députée européenne d'extrême droite Marion Maréchal raillait sur les réseaux sociaux cette distinction. Ce qui lui vaudra des plaintes d'associations et de l'actrice elle-même, pour injure transphobe et outrage sexiste.
- Mariée, une fille -
"Les personnes trans sont des personnes normales, avec leurs défauts et leurs qualités", insistait Karla Sofía Gascón à Cannes. "Si on écrit le mot +trans+ sur un réseau social, tout ce qu'on trouve, ce sont des insultes et de la pornographie. C'est à ça qu'on réduit la transsexualité. C'est pourquoi je n'aime pas les adjectifs, ni qu'on me colle des étiquettes".
La Madrilène, qui souhaiterait voir les personnes trans être considérées comme les autres, a une épouse et une fille. "Elles sont venues à Cannes. Au gala, elles pleuraient comme des madeleines".
"Ma fille a 13 ans. Cela a été un chemin très difficile, très compliqué. Surtout pour ma femme. Je l'ai rencontrée quand elle avait 18 ans, dans une discothèque à Alcobendas (agglomération de Madrid), imaginez. Mais c'est merveilleux ce qui se passe", rembobinait-elle.
Jacques Audiard, grand nom du cinéma tricolore qui a le don de changer en or les carrières d'acteurs, comme celle de Tahar Rahim après "Un prophète", reste ébahi par son talent. "Quand je vois Karla Sofía avec son épouse et son enfant, je me dis: +j'ai très peu d'imagination, je suis très limité+", sourit le réalisateur, séduit par le fait que Karla Sofía Gascón exerçait déjà le métier d'acteur avant sa transition.
Dans les années 1990, le comédien qu'il était alors commence à jouer dans des séries populaires en Espagne, comme "Isabel" et "El súper". Il fait de la figuration et de la pub. Puis l'acteur émigre au Mexique. Vient ensuite "Nosotros los nobles (2013)", un des plus gros succès ciné du Mexique.
C'est le confort financier acquis grâce à ce film qui décidera Karla Sofía Gascón à entamer sa transition complète.
De son expérience, elle a sorti un livre autobiographique, qui l'a exposée à l'homophobie et à la transphobie.
"J'ai eu une vie un peu étrange", a-t-elle encore confié à l'AFP lors du Festival de Cannes. "J'ai fait des choses bien et des erreurs, comme tous les êtres humains. Et ce qui m'arrive maintenant est la conséquence de faire les choses bien, de faire les choses avec amour. Je crois que c'est très beau d'être un exemple. Un exemple (du fait) que les rêves se réalisent".
(F.Schuster--BBZ)