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La Cour suprême du Mexique a rejeté mardi contre toute attente un recours en annulation d'une réforme du système judiciaire controversée voulue par le camp de la présidente de gauche Claudia Sheinbaum, épargnant au pays une crise politique majeure.
Ce recours avait été déposé par deux partis d'opposition, vent debout contre cette réforme, dont la pierre angulaire est l'élection de tous les juges et magistrats du pays au suffrage universel à partir de juin 2025, une première mondiale.
Une majorité qualifiée de huit juges sur les onze que compte la Cour suprême menaçaient de voter pour l'annulation. Mais le changement de camp à la dernière minute de l'un d'entre eux a fait basculer le rapport de force.
"Les présents recours en inconstitutionnalité sont rejetés", a écrit la Cour dans son arrêt après plus de cinq heures de délibérations publiques.
Promulguée mi-septembre par l'ex-président Andres Manuel Lopez Obrador après un processus d'adoption complexe par le Parlement national et ceux d'une majorité d'Etats, la réforme est défendue avec ardeur par la nouvelle présidente Sheinbaum, investie le 1er octobre.
- Corruption et népotisme -
Largement majoritaire au Parlement, la gauche justifie cette réforme pour lutter contre la "corruption", le "népotisme" et les "privilèges" des juges non-élus.
"Je salue le fait que la raison, la décence, la légalité aient prévalu", a déclaré à la presse le président du Sénat Gerardo Fernández Noroña après la décision de la Cour.
Un projet d'arrêt préparé par un des juges de la Cour, Juan Luis Gonzalez Alcantara, annulait partiellement la réforme en déclarant constitutionnelle l'élection au suffrage universel des magistrats de la Cour suprême, mais pas celle des juges de rang inférieur.
Pour être adopté, cet arrêt devait être approuvé par au moins huit des onze juges de la Cour suprême.
Jusqu'à mardi, seules trois juges considérées comme proches de la gauche avaient annoncé qu'elles voteraient contre. Mais contre toute attente, elles ont été rejointes en début d'audience par un quatrième magistrat, qui a durement critiqué la réforme mais a refusé de la déclarer contraire à la Constitution mexicaine.
- "Folie irresponsable" -
Annuler la réforme "serait répondre à une folie irresponsablement apportée au texte suprême (la Constitution), par une autre folie équivalente", a justifié ce juge, Alberto Pérez Dayán.
Cette décision éloigne la possibilité d'une crise entre la présidence et le pouvoir judiciaire.
Le Mouvement pour la régénération nationale (Morena, gauche), au pouvoir depuis 2018, accuse la justice d'être au service d'une l'élite conservatrice.
L'opposition et les fonctionnaires judiciaires, mobilisés depuis des semaines, dénoncent quant à eux une remise en cause de l'indépendance de la justice.
Des manifestants s'étaient réunis pendant les débats, retransmis en direct sur internet, devant le siège de la Cour suprême à Mexico.
"Le pouvoir judiciaire doit être un contre-poids aux autres pouvoirs", a déclaré à l'AFPTV une manifestante, Maria de los Angeles Ortiz, 54 ans, clerc à la Cour suprême.
"La réforme ne doit pas passer" sinon "le Mexique s'enfoncera encore plus dans le narcotrafic, dans la pauvreté, dans la corruption des juges mis en place par Morena", a-t-elle ajouté.
- Inquiétude aux Etats-Unis -
Les États-Unis - où les juges dans les États fédérés sont élus et leurs mandats régulièrement remis en jeu, contrairement aux juges fédéraux - affirment que cette réforme menace leurs investissements privés au Mexique, qui ont besoin de stabilité juridique.
Fin août, l'ambassadeur américain à Mexico, Ken Salazar, avait provoqué la colère du gouvernement mexicain en affirmant que la réforme allait "faciliter l'influence des cartels et d'acteurs malveillants sur des juges sans expertise", et en parlant de "risque majeur pour le fonctionnement de la démocratie au Mexique".
Avec la "politisation du système judiciaire", les investisseurs pourront se demander si "les désaccords entre les milieux d'affaires et le gouvernement seront résolus d'une manière impartiale", s'est interrogée pour sa part la société britannique Capital Economics dans une note à ses clients.
Les analystes craignaient qu'une annulation de la réforme par la Cour suprême ne déclenche une crise constitutionnelle d'une gravité sans précédent.
Mme Sheinbaum estimait que la Cour suprême n'avait pas le pouvoir d'annuler une réforme sans violer elle-même la Constitution.
"On ne peut pas revenir sur ce qu'a décidé le peuple" et sur ce "qui fait déjà partie de la Constitution", avait-elle affirmé mardi.
(B.Hartmann--BBZ)