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Le procès des effondrements de deux immeubles au coeur de Marseille a commencé jeudi dans l'émotion et sur fond d'une grande attente des familles des huit morts mais aussi de nombreux habitants dans une ville toujours minée par le logement indigne.
La famille d'Ouloume Saïd Hassani, mère de 54 ans décédée alors qu'elle venait de déposer son petit dernier à l'école "attend un épilogue", "que soient sanctionnées toutes les errances qui ont eu lieu", a déclaré à l'AFP leur avocat Me Philippe Vouland.
"Ils ont signalé à plusieurs reprises les bruits suspects, les fissures. Ils ont réclamé, ils ont demandé" et ils entendent aujourd'hui "que soient sanctionnées évidemment tous ceux qui n'ont pas fait ce qu'ils devaient faire", a-t-il ajouté.
Après six ans d'une enquête très technique, ce procès doit se tenir jusqu'à mi-décembre dans l'immense salle des procès "hors norme" du tribunal judiciaire de Marseille, pleine à craquer à l'ouverture de l'audience.
Juste avant l'ouverture, une manifestation quasi silencieuse a réuni plusieurs dizaines de personnes devant le tribunal. Des crieurs publics ont lu des messages, récoltés auprès d'anonymes marseillais, comme celui d'Anouchka, de Noailles: "après la peur, la stupeur, les pleurs, il nous reste la colère".
Les titres de la presse locale jeudi matin permettaient de mesurer qu'il se joue dans ce dossier un pan de l'histoire de la 2e ville de France, l'une des plus pauvres: un procès "monstre" pour le site Marsactu, "pour l'histoire" titre La Marseillaise quand La Provence estime qu'il s'agit de juger "une époque".
"Hors norme", ce procès l'est à plusieurs titres, a souligné le président du tribunal, Olivier Leurent (qui ne fait pas partie des magistrats jugeant l'affaire): "Par l'émoi profond provoqué par cette affaire (...), par le nombre des parties civiles (NDLR: 87 à ce jour) et par sa durée (...) et sa complexité".
Pourquoi les immeubles des 63 et 65 de la rue d'Aubagne, à quelques centaines de mètres du Vieux-Port, ont-ils pu s'écrouler sur eux-mêmes, en quelques secondes ? C'est la question à laquelle vont devoir répondre les trois magistrats du tribunal correctionnel devant lesquels comparaîtront les 16 prévenus.
Parmi eux, plusieurs copropriétaires du 65, seul immeuble habité, qui n'avaient pas fait réaliser les travaux nécessaires à la sécurité du bâtiment; leur syndic, resté sourd aux signalements des locataires; et un expert, qui avait réalisé une expertise de l'immeuble en à peine une heure, sans même prendre le temps de visiter la cave, deux semaines avant le drame, expertise après laquelle les habitants avaient été autorisés, sauf pour un appartement, à rentrer chez eux.
- Gérer l'émotion "au jour le jour" -
Mais aussi un élu, alors adjoint au maire, chargé de lutter contre "l'habitat dégradé et indigne", dont les services, totalement désorganisés, auraient géré les nombreux signalements "avec une légèreté qui interroge", selon les termes des magistrats instructeurs, qui qualifient le drame de "reflet dramatique et paroxystique d'une accumulation de dysfonctionnements".
Cet ancien adjoint, Julien Ruas, "est combattif, très peiné comme tous les Marseillais mais droit dans ses bottes et entend démontrer qu'il est totalement innocent des faits qu'on lui reproche", a déclaré son avocat, Me Erick Campana.
Les juges avaient décidé de renvoyer devant le tribunal quatre prévenus. Les copropriétaires ont eux été cités directement par des parties civiles. Et ce point sera un des sujets discutés au début du procès.
Ce drame avait profondément entaché la fin du règne de Jean-Claude Gaudin (LR), maire de la ville pendant 25 ans, qui avait accusé "la pluie" et la malchance. Depuis une union de gauche, Le Printemps marseillais, a été élue à la tête de la ville.
"Nous attendons ce procès avec plein d'espoir. Nous savons que ce ne sera pas simple, mais nous sommes très confiants dans la justice", afin qu'"à l'avenir il n'y ait plus jamais" un tel drame, a expliqué Maria Carpignano, la mère de Simona, emportée à 30 ans.
Imane Saïd Hassani, un des fils d'Ouloume, morte ensevelie, espère lui "voir le bout du tunnel" avec cette échéance judiciaire. "Même si je crains que ce que je vais trouver ne me plaise pas", explique-t-il à l'AFP, redoutant des peines dérisoires pour les prévenus qui risquent au maximum dix ans d'emprisonnement.
Il y aura aussi l'émotion à gérer et ça "ne va pas être facile. Ça va se gérer au jour le jour", confie Linda Larbi, cousine de Chérif Zemar, une des autres victimes décédées.
Et les proches des victimes comme les associations le savent: ce procès ne signera pas la fin de l'habitat indigne à Marseille, où 100.000 personnes sont toujours mal logées.
(K.Lüdke--BBZ)