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Deux meurtres en deux semaines, celui d'un procureur antidrogue et d'un maire au verbe fort contre la corruption, sonnent comme un inquiétant signal du glissement de pans du Paraguay sous l'emprise, voire les balles, du crime organisé et du narcotrafic.
"Ils se promènent en armes et personne ne fait rien. Comment peuvent-ils marcher dans la rue armés d'un AR-15 ou d'un AK-47 ? (...) Nous savons beaucoup de choses. Les gens savent ce qui se passe ici, mais (apparemment) la police ne sait pas, le parquet ne sait pas..."
Ainsi s'indignait, amèrement ironique, Jose Carlos Acevedo, 51 ans, maire de la ville de Pedro Juan Caballero (nord), dans une interview il y a quelques mois. Une de ses dernières avant d'être criblé de balles dans la rue le 17 mai dernier par des inconnus, alors qu'il sortait d'une réunion en mairie. Il est décédé après quelques jours d'agonie.
Une semaine plus tôt, c'est un procureur de 45 ans, Marcelo Pecci, bras droit de la procureure générale du Paraguay et en première ligne dans des affaires de narcotrafic et de blanchiment, qui était abattu sous les yeux de son épouse, sur la plage d'une île colombienne où ils passaient leur lune de miel.
Une des pistes explorées, selon des sources proches de l'enquête, remonterait à Sergio de Arruda Quintiliano Neto, dit "Le Minotaure", membre présumé de l'organisation criminelle brésilienne Primeiro Comando Capital (PCC), arrêté en 2019 et actuellement détenu au Brésil. Le PCC, comme le Comando Vermelho (commando rouge), étaient dans le collimateur du procureur Pecci, et les activités qu'ils gèrent à distance au Paraguay.
Le petit (7,3 millions d'habitants) pays subtropical enclavé entre Bolivie, Argentine et Brésil, avec qui il compte 1.300 km de frontière, est plutôt connu comme un producteur de marijuana. Mais "nous sommes devenus un hub distributeur régional de cocaïne venue des Andes, un pays d'où partent les cargaisons vers l'Europe, via les ports de Buenos Aires et Montevideo", estime Juan Martens, criminologue à l'Université nationale d'Asuncion.
- "Narco-institutions" -
Le nord-est du pays, zone frontière avec le Brésil - Pedro Juan Caballero, à 452 km d'Asuncion, est contiguë de Ponta Pora dans l'Etat brésilien du Mato Grosso du Sud - vit une effervescence singulière entre opérations anti-drogue accrues, règlements de compte entre groupes criminels pour occuper le vide laissé par des leaders emprisonnés et élimination de juges ou politiciens récalcitrants, voire de leurs proches. La nièce du maire Jose Carlos Acevedo y avait été abattue en 2021.
Dans la province d'Amambay, dont "Pedrojuan" (comme l'appellent les locaux) est la capitale, le taux d'homicides était en 2020 de plus de 70 pour 100.000 habitants, dix fois supérieur à la moyenne nationale.
Dans cette même région, la police a détruit, rien que la semaine dernière, 600 tonnes de marijuana dans une opération fort médiatisée dans la foulée de l'assassinat du procureur Pecci.
Et sur l'année, plus de 1.000 hectares de marijuana ont été détruits, et plus de 3.400 tonnes, sous forme de plante ou conditionnée, mises hors circulation "causant une perte de près de 103 millions de dollars au narcotrafic", a assuré à l'AFP Francisco Ayala, porte-parole du secrétariat anti-drogue du Paraguay. Et 2,2 tonnes de cocaïne (15,7 millions de dollars) saisies.
Le président Mario Abdo Benitez, critiqué pour le manque de résultats face au narcotrafic, a salué la semaine dernière ces chiffres "record". Et le fait que "de gros poissons commencent à tomber".
Mais il a aussi dressé le tableau sombre d'un pays où "le crime organisé paie des politiciens, paie des parlementaires, paie des procureurs, des magistrats et diverses autorités". Sans en nommer aucune.
Diagnostic confirmé par le Pr Martens, qui assure qu'il y a "une prise de contrôle progressive de diverses institutions", publiques et privées par le narcotrafic. Ici au Paraguay on a du narco-élevage, du narco-soja, du narco-sport (via les dirigeants), des narco-religieux, des narco-universités..."
Pour le chef de l'Etat, les assassinats sont des "victimes de la guerre" menée au narcotrafic, signe précisément qu'une lutte frontale est menée, et, a-t-il prévenu, "qu'elle va être dure, qu'elle va durer".
Le Parlement débattait cette semaine d'un projet de loi sur les modalités d'interception --voire l'élimination-- de petits avions de tourisme non identifiés ou "hostiles", un talon d'Achille du Paraguay, qui fait de son "ciel ouvert", selon le Pr Martens, un cadre prisé du narcotrafic.
Mais à l'instar du chef de la Force aérienne, le général Arturo Gonzalez, les militaires eux réclament des radars et des avions, avant même un texte de loi.
(Y.Berger--BBZ)