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Né dans l'Espagne en noir et blanc de la dictature, Pedro Almodovar, couronné samedi par le Lion d'or à Venise, a su raconter dans des films hauts en couleur la libération d'une société et s'est imposé comme l'incarnation du cinéma espagnol.
Paradoxalement, c'est avec son premier long métrage en anglais, "La chambre d'à côté", qu'il l'emporte pour la première fois dans un festival majeur, même s'il avait reçu un Lion d'or d'honneur en 2019.
Cette histoire de suicide assisté, avec les stars américaines Tilda Swinton et Julianne Moore, est loin du bruit et de la fureur des comédies kitsch et provoc' des débuts de l'enfant terrible du cinéma espagnol, sans atteindre les sommets d'émotion de "Tout sur ma mère" ou "Parle avec elle".
"C'est mon premier film en anglais mais l'esprit est espagnol", a-t-il commenté, avant de livrer un plaidoyer en faveur du "droit fondamental" de "dire adieu à ce monde proprement et dignement". Almodovar s'éloigne également de sa veine autobiographique plus récente ("Douleur et gloire") pour aller franchement vers le mélo.
Son épaisse chevelure a blanchi et, à 74 ans, il doit se défendre de ne plus être aussi "almodovarien" que certains le voudraient. Alors que son nom aura longtemps été synonyme de transgression, d'humour osé, de mélodrames flamboyants et d'héroïnes hors normes, ses oeuvres sont de plus en plus tourmentées par le déclin physique et la peur de la mort.
Pour expliquer cette nouvelle gravité, il évoque souvent sa vie d'homme vieillissant, reclus avec chat et "fantasmas" (fantômes ou fantasmes).
- "Ni interdits ni scandaleux" -
Après le succès de "Femmes au bord de la crise de nerfs" en 1988, extravagant vaudeville qui le lança à l'international, le journaliste français Bernard Pivot énumérerait, en 1992, les thèmes abordés dans ses films: "masochisme, homosexualité, masturbation, drogue, pornographie, attaques contre la religion"...
"Tous ces thèmes dont on dit qu'ils sont tabous appartiennent à ma vie, je ne les considère pas comme interdits ni scandaleux", lui répondait Almodovar, surnommé "l'enfant terrible de la Movida", libération socio-culturelle qui suivit la mort du dictateur Franco en 1975.
Il aura suffi de quelques années pour que ce Madrilène tout en rondeurs, homosexuel revendiqué, devienne le porte-drapeau d'une Espagne moderne et tolérante.
Né en septembre 1949 dans la région aride de La Manche, au centre de l'Espagne, Pedro Almodovar Caballero a rarement évoqué son père, un muletier qui disparaissait des semaines entières pour vendre du vin, décédé l'année de son premier film.
Sa mère a été la grande figure de sa vie et l'exploration des liens maternels un de ses thèmes de prédilection.
"Ma passion pour la couleur est la réponse de ma mère à tant d'années de deuil et de noirceur contre nature. J'ai été sa vengeance sur la sombre monochromie imposée par la tradition", disait-il en 2004.
Pedro a 16 ans quand il prend son indépendance pour gagner Madrid. L'école de cinéma étant encore "fermée par Franco", c'est à la cinémathèque qu'il découvre ses maîtres pour toujours, d'Hitchcock à Bergman en passant par Bunuel.
Gagnant sa vie comme agent administratif de la compagnie de téléphone, il plonge dans "l'underground" madrilène, s'adonne au "punk-glam-rock" et, dès 1974, tourne de petits films en super 8.
- Actrices fétiches -
Son premier long métrage, "Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier" (1980) ressemble à un joyeux roman-photo érotique aux héroïnes désinhibées. Il tournera les 19 suivants dans son pays, retrouvant régulièrement ses actrices fétiches (Carmen Maura, Rossy de Palma, Penélope Cruz, Marisa Paredes...).
Ses héroïnes sont souvent des femmes passionnées, obstinées, tenues de se réinventer face aux crises et aux rebondissements - improbables - qu'il glisse dans ses scénarios.
Il est aussi l'un des premiers à peupler de personnages transgenre et de travestis ses œuvres à l'humanisme chaleureux et à l'esthétique kitsch, comme "La mauvaise éducation", son oeuvre la plus personnelle, sur l'amitié de deux garçons dans un internat catholique.
Almodovar est aussi passé d'un thriller dérangeant, "La piel que habito", à une comédie fantasque dans les airs, "Les amants passagers", puis au mélodrame pur, "Julieta", portrait d'une mère qui cache un lourd secret.
Cinq fois en compétition officielle à Cannes, il n'a jamais reçu la Palme d'or même si, en 2006, "Volver" a reçu le prix du meilleur scénario et celui d'interprétation pour ses actrices. Certains de ses plus grands succès, "Tout sur ma mère" et "Parle avec elle", ont été récompensés par des Oscars.
(P.Werner--BBZ)