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Silence! Les membres de la société secrète Moungouo, de mystérieuses silhouettes masquées, enveloppées de la tête au pied dans une toge jaune, pénètrent dans la cour d'apparat de Foumban, la capitale historique du royaume Bamoun, sur les hauts plateaux de l'ouest du Cameroun.
A l'arrivée de leur juge suprême, un des seuls autorisés à montrer son visage, les imposantes "lances de la justice" sont plantées dans le sol.
Le sultan Mouhammad Nabil Mfourifoum Mbombo Njoya, le vingtième roi des Bamoun se lève de son trône et redevient le temps d'un instant un sujet comme un autre. Son procès peut commencer.
Dignitaires et touristes ont afflué la semaine dernière dans cette région reculée pour assister à ce "rituel de gouvernance", temps fort de la 548ème édition du "Nguon", le grand rendez-vous traditionnel de ce royaume fondé en 1384.
Les festivités qui ne s'étaient pas tenues depuis six ans ont été reconnues en décembre 2023 comme patrimoine immatériel de l'humanité de l'Unesco.
Le procès rituel est une première pour le jeune Nabil Mbombo Njoya, devenu roi en 2021, à l'âge de 28 ans, après la mort de son père. Il joue ici son titre, comme le veut la tradition de son royaume, parmi les plus vieux d'Afrique subsaharienne.
"Majesté, le peuple est très préoccupé par la dilapidation du patrimoine foncier du Royaume", rapporte un "Fonanguon", les députés du peuple Bamoun devant la foule. "Il n'existe qu'une seule reine aux côtés du roi dans la cour", reproche un autre Fonanguon, sous les rires et les applaudissements.
Malgré ces reproches, le jeune sultan a réussi à gagner l'approbation de son peuple.
A l'issue de son procès, son maintien à la tête du royaume est décidé, puis célébré par de bruyants tirs de fusil.
"J'ai adoré ce renversement de rôle, le roi est jugé par son peuple, et les critiques étaient plutôt sévères, j'étais surpris", confie Roly Allen, un homme d'affaires britannique de 46 ans spécialement venu de Londres.
"Il y avait aussi beaucoup d'humour, cela démontre un vrai amour entre le roi et son royaume", ajoute le touriste fièrement coiffé d'un haut de forme traditionnel Bamoun.
"Je suis très fier d'être Bamoun, ce sont des moments qui permettent d'apprendre notre culture et de la transmettre à nos enfants", s'émeut pour sa part Amadou Njoya, un jeune de 21 ans natif de Foumban.
Le Cameroun compte quelques 270 ethnies aux coutumes et langues différentes et plus de 80 chefferies de premier degré (royaumes et sultanats). Le droit coutumier et le sentiment d’appartenance à ces chefferies restent des éléments fondateurs pour la plupart des 28 millions d’habitants de ce vaste pays d’Afrique centrale.
- Restitution -
"Le Premier Nguon du Roi 20 était un évènement à ne pas manquer" assure Mariam Poughouo, une cheffe d'entreprise Bamoun installée en France.
Cette passionnée de tradition voit le roi comme "un grand combattant qui lutte pour la préservation de la culture".
Mais il manque au Royaume son "vrai trône", regrette Hamidou Ntieche, chef d'un village bamoun. Comme de nombreux biens culturels africains, ce précieux artefact a été transféré en Europe dans des circonstances troubles, au temps de la colonisation.
Dans son village de Mangé-Koutou, deux masques formant un couple ont été séparés. Le masque mâle "trafiqué" au "temps de ses parents" est "maintenant au Quai Branly", un musée à Paris, et ne reste que sa partie femelle pour la célébration des grands évènements et des funérailles, raconte le vieux chef couvert d'un manteau de Ndop, l'étoffe traditionnelle et rituelle de l'ouest du Cameroun.
Le trône Mandu Yene du royaume Bamoun, lui, est exposé au musée Humbolt-Forum de Berlin, après son transfert à l'époque de la colonisation allemande du Cameroun.
En 2023, le jeune sultan y a fait une visite remarquée: plus sensible à l'histoire de son peuple qu'au règlement du musée, il s'est assis sur ce trésor ayant appartenu à son arrière-grand-père. Mais c'est la réplique parfaite de ce trône en bois serti de perles colorées, qui a été utilisée pendant la cérémonie.
Le but des Bamoun est de récupérer l'original: "l'ambition est forte, elle a été exprimée ouvertement", explique à l'AFP Azize Mbouho, conseiller en communication du palais.
D'autant que le royaume a fièrement inauguré en avril un grand musée pour accueillir des milliers d'objets de son précieux patrimoine, dans un bâtiment reproduisant les armoiries royales - une araignée à pattes velues, un serpent à deux têtes surmonté de deux cloches.
Alexis Njivah Mouliom, secrétaire général de la fondation Nguon, espère que la reconnaissance de l'Unesco pourra servir de "publicité" et "renforcer le lobbying pour le retour du trône".
(F.Schuster--BBZ)