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Roi de l'improvisation, le pianiste Martial Solal, décédé jeudi, était l'un des rares Français à avoir imposé son nom sur la scène jazz internationale, faisant jeu égal avec les plus grands Américains.
Compositeur, arrangeur, chef d'orchestre, il s'est révélé aussi à l'aise dans la relecture d’œuvres classiques que dans une confrontation avec la musique la plus contemporaine. Il est décédé jeudi à l'âge de 97 ans, a annoncé à l'AFP son fils Eric Solal.
On lui doit de nombreuses bandes originales de films, notamment celle du manifeste de la Nouvelle Vague, "A bout de souffle" du cinéaste français Jean-Luc Godard, et il a enregistré plus d'une centaine de disques, en solo, duo, trio ou encore en big band.
"Le piano, ça se travaille physiquement, avec des exercices, il y a une part de sport", déclarait en 2019 à l'AFP ce passionné d'athlétisme et de courses hippiques. A plus de 90 ans, il continuait à jouer quotidiennement de son instrument "avec au moins deux à trois heures de travail par jour" et à donner une poignée de concerts par an, comme salle Gaveau à Paris en janvier 2019.
"Je suis content quand j'ai un concert parce que je me dis que je vais enfin entendre la musique que j'aime", confiait quelques jours avant le récital ce musicien doté d'un solide sens de l'humour.
- L'improvisation -
Né le 23 août 1927 à Alger dans une famille juive, Martial Solal apprend les rudiments du piano avec sa mère, qui chante de l'opéra, avant de prendre ses premières leçons vers l'âge de six ans.
L'enfant est jugé très prometteur mais déteste lire les partitions. Lorsqu'il passe l'examen d'entrée au conservatoire d'Alger, il rate complètement la partie solfège. Recalé.
C'est décidé, il se consacrera désormais au jazz, qu'il pratique auprès d'une célébrité locale, le saxophoniste Lucky Starway. "Ce qui me plaisait, c'était cette manière de prendre une mélodie, même sans intérêt, et de la modifier à sa guise. Ce fut une révélation".
Débarquant à Paris en 1950, en plein hiver, il connaît des débuts difficiles avant d'être engagé dans un club de Pigalle. Sa notoriété grandit, il devient le pianiste attitré du Club Saint-Germain, véritable temple du jazz, et du Blue Note. Il accompagne tous les grands solistes de passage, de Dizzy Gillespie à Sonny Rollins en passant par Sidney Bechet.
L'amour de l'improvisation ne le lâche plus et son ambition est de faire évoluer le jazz.
"Je n'écoutais jamais de disques, je ne voulais ressembler à personne, pas même à ceux que j'admirais", racontait-t-il dans son autobiographie "Mon siècle de jazz", qu'il publie... à 97 ans en 2024.
Il reçoit son premier prix des mains de Jean Cocteau, participe à l'enregistrement du dernier disque du virtuose manouche Django Reinhardt, compose des oeuvres maîtresses comme "Suite en ré bémol pour quartette" ou "Suite pour une frise".
En 1960, celui qui prend un temps le pseudo de Jo Jaguar aide son ami le saxophoniste Guy Lafitte à terminer une composition pour la maison Pathé-Marconi. C'est "Twist à Saint-Tropez", premier gros tube de Dick Rivers avec les Chats Sauvages. "C'est comme si j'avais gagné au Loto", dira Solal qui, grâce aux droits d'auteur, pourra passer les périodes de vaches maigres.
- "Géant" -
Considéré comme un "géant" par ses pairs, il est, aux yeux du critique Alain Gerber, "l'un des plus grands musiciens du monde, tous styles, tous genres et toutes cultures confondues".
"Il a complètement changé ma vision de la musique", confiait à 2016 à l'AFP Jean-Michel Pilc, autre grand pianiste de jazz français.
Sa carrière le mène partout dans le monde. En 1963, il est invité, outre-Atlantique, à jouer au Festival de Newport, consécration pour un musicien de jazz. L'Amérique lui déroule le tapis rouge, les clubs new-yorkais le veulent, mais lui préfère, après cinq mois aux Etats-Unis, rejoindre la France et sa famille.
Il revient au grand orchestre en 1982 et en 2006, avec son Dodecaband, puis son Newdecaband.
Lauréat de nombreux prix, Martial Solal reçoit en 1999, consécration suprême, le Jazzpar Prize, considéré comme le Nobel du jazz.
(T.Renner--BBZ)