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Répartis gaiement autour d'un piano, dix-sept collégiens de Seine-Saint-Denis apprivoisent des notions mathématiques... en chantant. "Saurez-vous trouver les deux symétries présentes dans cette composition de Mozart?", interroge une intervenante.
Conviés pour un atelier, ces élèves de quatrième et troisième semblent d'emblée à l'aise entre les murs de la Maison académique des mathématiques, inaugurée en septembre au sein de leur collège Jean Lolive de Pantin, classé en REP+ (Réseau d'éducation prioritaire, moyens renforcés).
Hospitalier, le lieu vise à "réduire l'anxiété des élèves et même celle des profs face aux maths", explique à l'AFP le directeur scientifique et pédagogique du projet, Richard Bréhéret. "Car dans le primaire, par exemple, les professeurs ne se sentent pas toujours suffisamment solides" pour les enseigner.
Face au déclin de la France dans les classements internationaux en mathématiques, il s'agit de former autrement, en innovant.
L'enquête internationale TIMSS, portant sur les acquis scolaires en mathématiques et sciences et parue début décembre, montre que les élèves français en CM1 et quatrième restent parmi les moins bons de l'Union européenne et de l'OCDE dans ces matières. Elle relève aussi un décrochage inquiétant des filles et des classes sociales plus défavorisées.
Cet après-midi-là, des collégiens entourent la pianiste Alexandra Degraeve, inspectrice en éducation musicale, qui leur fait écouter du Beethoven, du Miles Davis ou encore le "Boléro" de Ravel.
Soudain, quand elle demande aux adolescents ce qu'ils entendent "comme symétrie" dans ces musiques, la réponse fuse de la bouche de Léa: "une symétrie axiale". Spontanément, l'élève mime le pliage d'une feuille, comme elle le faisait lors d'un exercice réalisé juste avant sur papier.
"C'est un vrai défi de faire vivre aux élèves une chose aussi abstraite: la symétrie", explique à l'AFP Alexandra Degraeve. "D'où ma grande joie quand la jeune fille a fait le geste de plier, c'est-à-dire transférer l'art du temps sur deux dimensions".
Ludique, l'atelier fait ainsi passer plusieurs notions mathématiques par le corps. "J'ai adoré", conclut un collégien. "C'était comme un cours de maths... en plus vivant", renchérit une autre.
- Quand les filles "se brident" -
L'investissement de 20 millions d'euros dans cette Maison se veut une réponse aux "mauvais résultats en maths des élèves de l'académie de Créteil" où, "malgré des enseignants très motivés, ça ne prenait pas", concède Stéphanie Houdecek, directrice opérationnelle du projet.
Le lieu a déjà accueilli un atelier à destination des enseignants autour du chercheur en psychologie cognitive Patrick Lemaire qui a étudié le rôle des émotions dans l'apprentissage des mathématiques. Et un autre, pour les élèves, sur l'art conceptuel du peintre franco-polonais Romano Opakla, connu pour avoir peint les nombres entiers dans l’ordre croissant.
Une façon de donner le goût des maths à travers l'ouverture culturelle. "On montre que les maths ne sont pas quelque chose d'abstrait mais ont toutes sortes d'applications, des arts à la cryptographie, et bien sûr dans la nature, tel l'enroulement d'un coquillage", explique M. Bréhéret.
Le projet vise aussi à "réagir au fait que les filles ne s'orientent pas souvent vers les sciences, qu'elles se brident", dit-il.
"Jusqu'à l'entrée à l'école, garçons et filles ont les mêmes prédispositions pour les maths - et c'est seulement au CP que beaucoup d'enfants, et malheureusement surtout des filles, se convainquent que les maths, ce n'est pas pour elles!", a écrit Stanislas Dehaene dans "Une idée dans la tête".
Ce neuroscientifique soupçonne notamment que "l'anxiété mathématique, que ressentent beaucoup d'enseignants, est contagieuse et se transmet plus facilement aux filles qu'aux garçons".
Mais à Pantin, durant l'atelier, une collégienne répond tranquillement à l'AFP: "Personne n'est plus doué pour les maths, pas plus les garçons que les filles, ça dépend de l'apprentissage. Je l'ai constaté dès l'entrée au collège: les garçons ne sont pas des étoiles!"
Quelques mois seulement après l'inauguration de la Maison des mathématiques, les ateliers restent rares encore. "Mais l'ambition d'ici cinq ans, c'est non seulement qu'il y ait des cycles de conférences mais que les enseignants s'en emparent pour créer leurs outils pédagogiques" propres, espère Mme Houdecek.
(L.Kaufmann--BBZ)