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Dans une industrie encore très masculine, Jehanne Rousseau est l'une des rares femmes à la tête d'une entreprise du jeu vidéo: à 46 ans, la présidente et directrice créative du studio Spiders s'est imposée comme une figure reconnue de la création française.
Avec la sortie jeudi de "Steelrising", le 7e jeu de ce studio fondé en 2008 avant d'être racheté par l'éditeur Nacon il y a trois ans, la dirigeante a fait un pari narratif audacieux.
Il met en scène, au coeur du Paris du XVIIIe siècle, une version alternative de l'histoire de la Révolution française: et si le roi Louis XVI, passionné d'horlogerie, avait mis sur pied une armée d'automates capable de mater l'insurrection populaire?
"On a pris ce parti d'embrasser la culture et l'histoire européenne et de nous en servir pour créer des mondes et expériences fantastiques", explique à l'AFP Jehanne Rousseau, qui a également participé à l'écriture du scénario.
Avec un budget de développement de 8 millions d'euros, "Steelrising" est un jeu produit par "un studio de taille moyenne, par rapport à d'autres" capables de faire des jeux dignes des films hollywoodiens.
"On ne peut pas se comparer, précise-t-elle. On est plus sur des jeux d'artisans que des jeux d'industriels".
Rien ne destinait pourtant cette étudiante en lettres classiques à atterir "presque par hasard" dans l'univers vidéoludique: à 22 ans, après une prépa "Beaux Arts", "une connaissance" lui dit que RFX Interactive, un petit studio de développement indépendant, cherche une graphiste.
- Reconnaissance -
"Il n'y avait pas d'études spécialisées à l'époque quand j'ai commencé. Le milieu du jeu vidéo était pour moi une espèce de boîte noire, je n'avais aucune idée de comment cela fonctionnait", raconte-t-elle. "Je cherchais du boulot, j'y suis allée".
Jusqu'à gravir les échelons, apprendre d'autres métiers notamment à Gameloft, le spécialiste des jeux mobiles, et fonder son propre studio, Spiders, avec six autres associés.
La consécration a lieu en 2019, avec le jeu "Greedfall" qui s'est vendu à plus de 2 millions d'exemplaires.
Puis la reconnaissance de ses pairs l'année suivante avec le Pégase de la personnalité de l'année, récompense sur le modèle des "César" du cinéma décernée par l'Académie des arts et techniques du jeu vidéo.
Jehanne Rousseau a aussi reçu en 2021 l'Ordre national du mérite. Une distinction remise, à sa demande, par Muriel Tramis, pionnière du jeu vidéo en France dans les années 1980 et première femme à avoir reçu la Légion d'honneur dans cette discipline. Comme un symbole de transmission.
"Au départ, je n'étais pas du tout motivée (pour recevoir la distinction) parce que je me demandais quel sens cela avait. Je me disais: +Je fais du jeu vidéo, je ne sauve pas des gens à l'hôpital+", se remémore Mme Rousseau qui a lancé en 2020 une "Bourse" avec d'autres dirigeants de l'industrie pour aider les étudiants issus de milieux modestes à poursuivre leurs études dans ce secteur "fermé".
"Mais en pensant à tous ces jeunes qui galèrent pour faire une carrière dans le jeu vidéo, pour qui c'est quasiment inaccessible, je me suis dit qu'accepter cette récompense, c'est une manière de leur dire que c'est faisable", complète-t-elle.
Une reconnaissance qui tranche avec la faible représentation des femmes dans un univers marqué par des affaires retentissantes de harcèlement dans plusieurs grands studios (Activision Blizzard, Ubisoft...)
Selon l'association Women in Games, qui œuvre pour une plus grande mixité dans le secteur, les femmes représentent 22% des professionnelles dans les entreprises du jeu vidéo, rappelle auprès de l'AFP sa présidente Morgane Falaize.
"Heureusement, cela commence à changer mais c'est un processus qui est long", déplore Jehanne Rousseau.
"Ce que je souhaite, c'est que de plus en plus de gens fassent des jeux vidéo car plus de diversité dans les œuvres, ça veut dire plus de diversité chez les créateurs", espère-t-elle.
(G.Gruner--BBZ)