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Des Colombiens souffrent-ils de la faim ? L'ONU l'affirme, ce qui a suscité l'ire du gouvernement.
Heidy Garzon, mère isolée vivant dans le quartier pauvre de Ciudad Bolivar, dans le sud de Bogota, n'était pas au courant de la polémique, trop occupée à trouver de quoi nourrir ses neuf enfants.
La faim, "c'est terrible", confesse cette femme de 38 ans, dont la famille ne mange la plupart du temps que deux fois par jour.
Ce jour-là, pour son premier repas, la fratrie a eu droit à un petit déjeuner fait "d'oeufs, d'un peu de chocolat et des arepas" (galettes de maïs), raconte Heidy, ses deux benjamins en couche-culottes qui s'accrochent à ses mollets.
Les autres enfants grignotent une mangue d'un panier "donné la veille par un commerçant". "On ne sait pas ce que l'on va manger ce soir", dit-elle, les yeux marqués par la fatigue.
Dans cette favela à la colombienne, océan de misère accroché à flanc de collines et redouté pour sa criminalité, la fratrie s'entasse, au détour d'un chemin de terre, dans son cabanon de fortune. Six lits dans une unique pièce au sol en terre battue.
Le linge sèche un peu partout. Comme dans un banal foyer, couvertures, vêtements et autres affaires sont impeccablement rangés dans des étagères. Une annexe derrière un rideau fait office de douche et de toilettes à la propreté irréprochable.
- "Ne rien montrer aux enfants" -
Derrière une autre cloison, l'eau arrive d'on ne sait où via un tuyau pour se déverser dans un évier.
Une gazinière sert de cuisine, à côté d'un antique frigo vide et débranché, dont la porte fermée évite que "des souris ne viennent picorer s'il nous reste un plat de pâtes de la veille", explique Heidy.
De cette indigence mêlée aux rires enfantins se dégage pourtant la chaleur d'un foyer ordinaire. "Pour le moment, les enfants sont en bonne santé, Dieu merci!".
Mais le quotidien est une épreuve pour Heidy, engoncée ce jour-là dans un blouson et un cotonneux pantalon de pyjama. Le froid peut être vif dans cette partie de Ciudad Bolivar, coin le plus haut de la montagne, et donc le plus pauvre, où aucun bus public ne monte.
La vue y est imprenable sur la ville, qui ferait presque oublier les cadavres tués par balles que l'on retrouve régulièrement au petit matin dans les terrains vagues.
Heidy et sa famille n'ont reçu aucune aide depuis plusieurs mois. Sans soutien des pères de ses enfants, elle vit d'aléatoires "petits boulots de ménage ou sur des chantiers", payés 20.000 pesos (4,5 euros) la journée, "desquels il faut enlever le coût du transport". Faute de moyens, notamment pour acheter les uniformes, aucun des enfants n'est scolarisé.
"Si je n'ai pas de travail, on doit aller trouver de l'argent dans la rue...", lâche-t-elle. Impossible de laisser les petits seuls à la maison, mais "trop risqué" aussi d'abandonner la maison sans surveillance, l'un des aînés doit rester dans la cabane. "On vole beaucoup ici..."
La fratrie a l'habitude d'aller quémander à manger près des magasins d'une zone résidentielle lointaine. Assise contre un mur, la mère est entourée de ses enfants sous la pluie. Les bouts du nez dépassent à peine du masque chirurgical et des épais blousons à capuche.
"Parfois on nous donne, parfois non... alors on revient le ventre vide, pas le choix. Se lever tous les jours sans savoir ce que vous allez manger, c'est très dur...", craque Heidy, tentant de retenir ses sanglots. "On se sent impuissant, j'essaie juste de ne rien montrer aux enfants..."
Selon l'Association des banques alimentaires de Colombie (ABACO), 21 millions de Colombiens (sur 50 millions) vivent dans la pauvreté et 16 millions d'entre eux ne font que deux repas par jour, voire moins.
Alors pour Heidy, "oui, il y a la faim en Colombie! Nous sommes trop nombreux à être dans cette situation". Et la mère de famille d'avouer, humblement : "mon rêve serait d'avoir un petit travail régulier pour nourrir tranquillement mes enfants et les envoyer à l'école. Juste ça, ce serait bien..."
(S.G.Stein--BBZ)