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L'enquête, débutée en 1996, vient de se conclure par un non-lieu: la justice a ordonné l'abandon des poursuites dans l'affaire de l'intoxication par l'amiante sur le campus parisien de Jussieu, emblématique du combat des victimes en quête de responsabilité.
Dans une ordonnance du 24 février, consultée lundi par l'AFP, trois magistrats du pôle santé publique de Paris ont estimé qu'il n'existait pas de charges suffisantes pour renvoyer en procès l'université ou ses anciens responsables pour blessures, homicides involontaires ou mise en danger de la vie d'autrui.
Il n'est "pas possible de relier le dommage à des éventuelles fautes qui pourraient être imputées - de manière certaine - à des personnes ayant une responsabilité dans l'exposition à l'amiante", concluent-ils.
De toutes les enquêtes sur ce scandale sanitaire, celle sur Jussieu est l'une des plus emblématiques: c'est de cette faculté parisienne qu'était partie, dans les années 1970, la première grande mobilisation dénonçant les intoxications par l'amiante utilisée pour la construction des bâtiments.
Mais après plus de deux décennies d'investigations, la vingtaine de dossiers de l'amiante instruits à Paris se termine depuis trois ans sans renvoi devant un tribunal.
Avant Jussieu, les magistrats ont prononcé en 2021 des non-lieux dans l'affaire des Chantiers navals du Nord et de la Méditerranée (Normed) et en 2019 dans celle des usines de Condé-sur-Noireau et pour Eternit, premier producteur français d'amiante-ciment jusqu'à l'interdiction de cette fibre en 1997.
Comme dans ces dossiers, les magistrats se sont appuyés pour Jussieu sur une expertise judiciaire de 2017, qui juge impossible de déduire avec précision le moment de l'exposition des salariés à cette fibre cancérogène et celui de leur contamination, et donc d'établir la responsabilité pénale de tel ou tel dirigeant.
L'ordonnance de non-lieu souligne ainsi l"'impossibilité scientifique, compte tenu des temps de latence globalement très longs des maladies en lien avec l'amiante (quarante ans en moyenne pour le mésothéliome notamment), de déterminer à l'échelle individuelle à quel moment ou même à quelle période intervenait la contamination donnant lieu à intoxication".
- "Argumentation erronée" -
"L'argumentation pour arriver à cette conclusion est beaucoup plus sophistiquée que dans les autres dossiers. Elle n'en demeure pas moins scientifiquement et juridiquement erronée", ont regretté le comité anti-amiante Jussieu et l'Association nationale des victimes de l'amiante (AVA).
Tous deux comptent faire appel de l'ordonnance des juges.
L'instruction avait été ouverte en 1996 après le dépôt de premières plaintes, alors qu'apparaissaient les premières maladies professionnelles parmi le personnel de la faculté.
Les plaignants pointaient du doigt que de l'amiante était présent dans le flocage d'une bonne partie des bâtiments du campus de Jussieu, qui regroupait alors les universités Paris VI et Paris VII ainsi que l'Institut de physique du globe de Paris (IPGP), construits entre 1964 et 1972.
Les premiers travaux de protection ont été réalisés à la fin des années 1970 et ne concernaient que le rez-de-chaussée,ajoutaient-ils, dénonçant une "loi du silence".
Mais les juges ont estimé qu'"il apparaît impossible d'identifier une personne physique avant 1994 et physique et morale après mars 1994 susceptible d’être à l’origine, par la violation d'une obligation légale ou réglementaire à un moment donné, de l'intoxication d'un des plaignants"
En 2018, la Cour de cassation avait entériné l'abandon des poursuites contre des décideurs nationaux dans ce dossier.
Elle avait également mis hors de cause en 2015 huit personnes, dont l'ex-ministre Martine Aubry, un temps poursuivie pour son rôle entre 1984 et 1987 au ministère du Travail en tant que directrice des relations du travail.
Face aux revers devant la justice pénale, des victimes de l'amiante ont déposé en novembre une citation directe au tribunal judiciaire de Paris, afin d'aboutir au procès de 14 personnes notamment pour "homicides et blessures involontaires" et "complicité de tromperie aggravée".
En 2012, les autorités sanitaires estimaient que l'amiante pourrait causer d'ici 2025 3.000 décès chaque année par des cancers de la plèvre ou des cancers broncho-pulmonaires.
(A.Lehmann--BBZ)