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Christian Smalls ne travaille plus à l'entrepôt Amazon JFK8 à New York mais s'y rend tous les jours, pour parler avec ses anciens collègues à l'arrêt de bus. Son objectif: les convaincre de voter pour la création d'un syndicat.
Le géant du commerce en ligne, l'un des plus gros employeurs aux Etats-Unis, a réussi jusqu'ici à repousser les velléités des salariés souhaitant se regrouper dans le pays.
Il fait face actuellement à trois tentatives en même temps.
A New York, 5.000 employés du centre de distribution JFK8 sont appelés à voter du 25 au 30 mars, le décompte des voix débutant le 31 mars. Quelque 1.500 salariés de l'entrepôt situé de l'autre côté de la rue, appelé LDJ5, pourront s'exprimer du 25 au 29 avril.
Plus au sud dans l'Alabama, plus de 6.000 travailleurs du site de Bessemer ont jusqu'au 25 mars pour renvoyer leur bulletin par la poste. Le dépouillement doit débuter le 28 mars et pourrait prendre une à deux semaines.
Un scrutin y avait déjà eu lieu l'an dernier, une vaste majorité des votants rejetant alors la création d'un syndicat. Mais l'agence en charge du droit du travail, NLRB, a estimé qu'Amazon avait enfreint certaines règles et ordonné une nouvelle élection.
- "Du bon côté" -
Christian Smalls, 33 ans, a été licencié en mars 2020, juste après avoir organisé une manifestation réclamant plus de protections face à un virus alors encore peu connu.
Sans emploi, il choisit de continuer à témoigner de son expérience et à militer pour la protection des travailleurs essentiels.
Juste après l'échec du vote à Bessemer, il décide en avril 2021, avec quelques anciens collègues, de se lancer dans l'aventure syndicale et de créer Amazon Labor Union (ALU).
"Je sais que je suis du bon côté de la bataille", dit-il à l'AFP mi-mars. Une vingtaine de volontaires sont alors réunis dans une salle de réunion pour appeler, un à un, les employés de l'entrepôt et leur expliquer ce qu'est un syndicat et ce qu'ils réclament, sur les salaires, les conditions de travail, la garantie de l'emploi, les congés.
C'est suite à un coup de fil similaire qu'Isaiah Thomas, 20 ans, s'est impliqué dans le comité d'organisation à Bessemer. Après l'échec de l'an dernier, le syndicat soutenant la bataille, le RWDSU, y a mené une campagne de proximité, faisant du porte à porte et allant à la rencontre des employés lors des pauses.
Il a commencé à travailler à Amazon en 2020, pour financer ses études.
"J'ai tout de suite réalisé qu'il y avait des changements à faire", dit-il à l'AFP. Sur la sécurité, sur les cadences, sur les temps de pause par exemple. Mais comme beaucoup de jeunes, "je ne savais pas vraiment ce qu'était un syndicat" avant ce coup de fil, ajoute-t-il.
- David contre Goliath -
Amazon de son côté, à Bessemer comme à New York, a tenté de dissuader les employés, les convoquant notamment à des réunions obligatoires.
"Nos employés ont le choix de rejoindre ou non un syndicat. Ils l'ont toujours eu", a assuré une porte-parole du groupe, Kelly Nantel, dans un message à l'AFP. Mais l'entreprise "ne pense pas que les syndicats soient la solution la plus adaptée pour nos employés", ajoute-t-elle.
Si l'un des syndicats l'emporte, "ce serait énorme et cela pourrait inspirer d'autres travailleurs d'Amazon", ce que la multinationale cherche à éviter, avance Ruth Milkman, sociologue du travail à l'université CUNY.
Elle n'est toutefois "pas optimiste": la loi américaine favorise nettement les employeurs et rend difficile toute tentative de syndicalisation, explique-t-elle en évoquant le combat de David contre Goliath.
A New York, ALU a choisi de rester indépendant et n'a en conséquence pas beaucoup de moyens pour contrer les efforts d'Amazon, remarque Ruth Milkman. Ses seules ressources sont les campagnes de financement participatif.
Et à Bessemer, "il n'y a pas beaucoup d'alternatives aux emplois chez Amazon", ajoute-t-elle. Le salaire minimum, à 15,80 dollars de l'heure, y est deux fois plus élevé que le salaire minimum officiel.
Dans ses réunions d'information sur les conséquences de la création d'un syndicat, l'entreprise brandit le risque de perdre son emploi et dans ce contexte, remarque Ruth Milkman, "vous pouvez vous laisser intimider par la propagande de l'employeur (...) et y réfléchir à deux fois avant de prendre ce risque".
(K.Müller--BBZ)