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C'était le premier procès pénal en France de l'"ubérisation", c'est maintenant l'heure de la décision pour Deliveroo, jugée en mars pour avoir employé en tant qu'indépendants des livreurs qui auraient dû, selon l'accusation, être salariés.
Le tribunal correctionnel de Paris rendra sa décision mardi à 13H30.
Au terme d'une semaine de procès, le parquet avait requis la peine maximale de 375.000 euros d'amende à l'encontre de Deliveroo France, ainsi qu'un an de prison avec sursis contre deux ex-dirigeants français de l'entreprise.
La procureure avait "regretté" l'absence sur le banc des prévenus de l'Américain William Shu, grand patron de l'entreprise britannique et "incontestablement" à l'origine du "système" qui a permis à Deliveroo de bénéficier de "tous les avantages de l'employeur", "sans les inconvénients".
La plateforme de livraison de plats cuisinés est bien responsable d'"une instrumentalisation et d'un détournement de la régulation du travail", dans le but d'organiser une "dissimulation systémique" d'emplois de livreurs qui auraient dû être salariés et non indépendants, avait martelé Céline Ducournau.
Mme Ducournau avait longuement listé tout ce qui démontrait les "directives", "contrôles et "sanctions" caractérisant la relation employeur-salarié : "statistiques" sur les délais de livraison, vidéos de formation détaillées, règles précises sur la manière de livrer...
La "fraude" mise en place avait pour unique but d'employer "à moindre frais" ses livreurs, et peu importe si certains sont "satisfaits" de ce statut ou se "sentent libres", avait-elle souligné, en référence à l'un des arguments de Deliveroo pour justifier le statut d'auto-entrepreneur.
"Il ne s'agit pas du procès des mauvaises conditions de travail", ni de celui des "modes de consommation de notre époque", avait rétorqué Antonin Lévy, l'avocat de Deliveroo France, pour qui le procès a parfois pris des airs de "forum politique".
- Promesses de liberté -
Une dizaine de livreurs à vélo ou scooter, beaucoup désormais engagés contre le "système", avaient défilé à la barre pour raconter leur arrivée à Deliveroo, attirés par les promesses de "liberté" et de "flexibilité" mais avaient découvert la "guerre" pour obtenir les meilleurs "créneaux" horaires, la "pression", la "surveillance" et les réprimandes de Deliveroo. Au total, plus d'une centaine sont parties civiles au procès.
Deliveroo a maintenu qu'elle ne faisait que "mettre en relation" des clients, restaurateurs et livreurs, et démenti "tout lien de subordination".
"Qu'est-ce qu'un salarié? Quelqu'un qui choisit si aujourd'hui, il veut venir travailler? Quelqu'un qui peut travailler pour votre pire concurrent? Qui peut refuser une commande? Non, ce n'est pas ça un salarié, il n'y a pas de lien de subordination", avait plaidé Me Lévy pour Deliveroo. "La liberté, ce n'est pas l'absence de contraintes", avait-il ajouté, demandant la relaxe, comme les conseils des ex-responsables.
Pour les deux dirigeants successifs de Deliveroo France sur la période concernée, de 2015 à 2017, la procureure a demandé un an d'emprisonnement avec sursis et 30.000 euros d'amende. Pour un troisième cadre, elle a requis quatre mois d'emprisonnement avec sursis et 10.000 euros d'amende.
La procureure a également souhaité comme peine complémentaire "l'affichage et la diffusion" de la décision de justice, notamment devant les locaux de Deliveroo pendant deux mois, ainsi que sur la page d'accueil du site et de l'application mobile de la plateforme - une peine pensée pour les "travailleurs actuels" de la plateforme, a-t-elle précisé.
L'Urssaf, l'organisme gouvernemental chargé de collecter les cotisations et contributions sociales des entreprises, réclame de son côté 9,7 millions d'euros pour rattraper les cotisations évitées par le recours aux livreurs indépendants.
Très contesté, le statut d'indépendant des chauffeurs Uber ou des coursiers Deliveroo est remis en cause dans de nombreux pays par la justice ou, plus rarement, par des lois qui ont poussé certains géants du secteur à proposer des compromis.
(L.Kaufmann--BBZ)