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La Cour suprême américaine a annulé jeudi un accord d'indemnisation de quelque 6 milliards de dollars dans la crise des opiacés, au motif qu'il exonérait la famille Sackler, propriétaire du laboratoire Purdue, de toutes futures poursuites émanant de victimes.
Les Sackler sont accusés d'avoir promu de façon musclée pendant des années leur médicament antidouleur OxyContin tout en ayant connaissance de son caractère très addictif. La vente de ce produit leur a rapporté des dizaines de milliards de dollars.
La surprescription de cet opiacé est généralement considérée comme le déclencheur de la crise qui a fait plus d'un demi-million de victimes en 20 ans aux Etats-Unis.
Le ministère de la Justice reprochait à cet accord; conclu en 2022 avec les 50 Etats américains, des collectivités locales et des victimes individuelles, et validé par une cour d'appel fédérale; de protéger la famille Sackler de toutes futures poursuites, y compris venant de victimes qui n'avaient pas consenti à cet accord.
Il s'agit notamment de municipalités et de tribus canadiennes.
"Le Code des faillites n'autorise pas (...) une immunisation vis-à-vis des poursuites sans le consentement des plaignants affectés", écrit au nom de la majorité Neil Gorsuch, auquel se joignent trois autres juges conservateurs et une progressiste.
"Ce que les Sackler ont accepté de mettre sur la table pour les victimes des opioïdes est loin d'approcher la la totalité de leurs biens", affirme-t-il, rappelant qu'ils avaient "siphonné" quelque 11 milliards de dollars du laboratoire Purdue dans les années précédant sa déclaration de faillite en 2019.
"Cela ne les empêche pourtant pas de demander une décision judiciaire qui éteindrait virtuellement toute poursuite à leur encontre pour fraude, blessure volontaire et même décès imputable à une faute, tout cela sans le consentement de ceux qui ont engagé de telles poursuites ou voudraient le faire", selon l'arrêt.
- "Billet de loterie" -
Dans son avis de désaccord, le juge Brett Kavanaugh, auquel se joignent un autre conservateur, le président de la Cour John Roberts, et deux progressistes, dénonce au contraire "une décision erronée en droit et dévastatrice pour plus de 100.000 victimes des opioïdes et leur famille", pointant le caractère aléatoire d'un meilleur accord à l'avenir.
"Chaque victime ou créancier recevra l'équivalent d'un billet de loterie pour une possible future réparation pour (tout au plus) quelques-uns", s'inquiète-t-il.
Le laboratoire Purdue a également déploré une "décision désespérante car elle invalide un accord (...) qui aurait apporté des milliards de dollars pour l'indemnisation des victimes, la réparation des conséquence de la crise des opioïdes et les médicaments contre les surdoses et l'addiction aux drogues".
Il assure néanmoins dans un communiqué que cela ne le dissuadera pas de poursuivre "le double objectif d'utiliser les dollars de l'accord pour remédier aux dégâts des opioïdes et de transformer l'entreprise en agent du bien".
Visé par une avalanche de poursuites, Purdue s'est déclaré en faillite en 2019 et négocie depuis un plan dont la dernière version prévoit sa fermeture aux Etats-Unis au profit d'une nouvelle entité et le paiement d'au moins 5,5 milliards de dollars sur 18 ans.
La Cour suprême avait suspendu en août cet accord à la demande du gouvernement.
Lors des débats en novembre, les neuf juges s'étaient montrés inhabituellement tiraillés, balançant entre le risque de compromettre l'indemnisation des victimes, et celui de reconnaître à une cour, dans une affaire de faillite, le droit d'immuniser les Sackler contre de futures poursuites.
L'avocat représentant les victimes ayant souscrit à l'accord, Pratik Shah, avait estimé "irresponsable de la part du syndic de faillite de suggérer qu'il y a une sorte d'alternative secrète pour obtenir réparation", affirmant que "sans l'exemption, le plan se délitera".
(A.Lehmann--BBZ)