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Artisan d'une renégociation salvatrice de la dette argentine, Martin Guzman, le jeune ministre de l'Économie, est un disciple du Nobel Joseph Stiglitz, qui a su trouver l'ouverture avec le Fonds monétaire international (FMI), avec la patience du brillant tennisman de fond de court qu'il fût.
L'Argentine, 3e économie d'Amérique latine, a annoncé vendredi un accord avec l'institution internationale pour des facilités de paiement sur le remboursement d'un prêt contracté en 2018. Quelque 19 milliards de dollars étaient dus dès 2022.
Quand le jeune Martin Guzman, aîné d'une fratrie de cinq, grandissait à La Plata, à 55 km de Buenos Aires, il excellait en maths, matière que sa mère enseignait, participait aux Olympiades internationales de la discipline et s'y destinait naturellement.
Une date a tout changé: décembre 2001, une des pires crises socio-économiques du pays, qui ruina des millions d'Argentins et laissa un souvenir de sang (39 morts dans la répression d'émeutes).
"La réalité parfois change les motivations", méditait M. Guzman, 39 ans, dans un entretien récent à l'AFP. "2001 fut une des années les plus dures pour l'Argentine, assurément pour ma génération. On a vu beaucoup de souffrance, de familles brisées, d'emplois perdus, d'absence d'espoir..."
"J'étais à l'époque en fin de secondaire, et clairement la raison pour laquelle je me suis tourné vers l'économie était d'essayer de comprendre (...) Et trouver des outils, des instruments pour contribuer à un changement".
- "Esprit brillant" -
Les outils, ce diplômé de l'Université de La Plata, puis de l'Université américaine de Brown, les a glané au côté du keynésien Joseph Stiglitz, Prix Nobel d'Économie en 2001.
Ce dernier le remarque et l'intègre à son équipe de chercheurs de l'Université de Columbia (New York). La spécialité du jeune Guzman: les dettes souveraines...
Devenu un économiste influent de sa génération, avec notamment un rôle de conseil auprès de l'Assemblée générale de l'ONU, Martin Guzman, quasi-inconnu dans son pays et nullement politique, était choisi fin 2019 par le gouvernement péroniste de centre-gauche fraîchement élu.
"Un des jobs les plus difficiles du monde", décrivit la presse à sa nomination: ministre d'une des économies les plus instables de la planète, à l'inflation et endettement chroniques. Et à l'époque, en récession depuis deux ans.
"La personne qu'il faut, à l'endroit où il faut, au moment où il faut", résuma alors Joseph Stiglitz, décrivant "un esprit brillant, un des meilleurs étudiants" qu'il ait eus.
"Pas un dogmatique", quelqu'un pour qui "la méthode s'adapte au problème, pas l'inverse", disait un de ses mentors argentins, Daniel Heymann, au site Infobae.
- "Tranquilliser" l'économie, les gens -
"En plus, c'est un bon gars", ajoutait l'ex-doyen de la Faculté d'économie de La Plata, Martin Lopez Armengol. Et accessoirement un sportif accompli, ce dont atteste sa stature compacte: au tennis mais aussi au football que ce fan du club Gimnasio y Esgrima de La Plata pratique régulièrement.
Ton pondéré, manières calmes, voix résolue mais douce, Martin Guzman n'a jamais été adepte des déclarations fracassantes, quand d'autres - le chef de l'État ou la vice-présidente Cristina Kirchner - multipliaient l'adresse du FMI les défiants et populaires "plus jamais !".
En 2020, en pleine pandémie de Covid-19 et au bout de mois de négociations, l'Argentine scellait un accord auprès de créanciers privés pour la restructuration de 66 milliards de dollars d'obligations sous législation étrangère. En 2021, c'est un accord avec le Club de Paris, pour un allègement de 2 milliards. Au tour du FMI.
Le credo de Martin Guzman: ne pas renoncer à rembourser, non, mais convaincre de laisser du temps, des conditions d'investissement public, pour ne pas étouffer la croissance, afin que le remboursement de la dette devienne soutenable.
Avec une phrase qui revient souvent : "calmer" l'économie, "tranquilliser" les gens. Le souvenir traumatique de 2001, encore.
De son passé de tennisman - son père était professeur de tennis, lui excellait en tournois de jeunes - Martin Guzman a gardé la patience du jeu de fond de court sur la terre battue argentine. "Même si j'ai dû m'adapter aux surfaces indoor aux États-Unis", sourit-il.
Patience et adaptabilité. Qui lui serviront encore sans doute, quand il s'agira de faire avaler les inévitables ajustements budgétaires contenus, en petits caractères, dans l'accord.
(F.Schuster--BBZ)