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Ali Hasanov regarde les ruines d'Agdam, sa ville natale du Haut-Karabakh dont les rues sont envahies par la végétation. Et il jure de revenir pour la reconstruire.
"Quel que soit le temps que cela prendra, nous retournerons à Agdam. Nous voulons vivre ici, notre place est ici", assure cet ouvrier métallurgiste de 65 ans.
Agdam est une ville fantôme depuis juin 1993, lorsque les forces séparatistes arméniennes l'ont prise à l'Azerbaïdjan, faisant fuir ses 28.000 habitants qui craignaient pour leur vie.
Trente années ont passé et Ali Hasanov est de retour sur sa terre natale à l'occasion d'une visite en bus organisée par le gouvernement azerbaïdjanais sur les "terres libérées" reprises à l'Arménie en 2020 après six semaines de combats.
La guerre a fait plus de 6.500 morts, avant un cessez-le-feu négocié par la Russie.
En vertu de cet accord, l'Arménie a cédé des territoires qu'elle contrôlait depuis une première guerre victorieuse au début des années 1990, tandis qu'une force russe de maintien de la paix a été déployée dans la région.
- "Mon âme brûlait" -
Ali Hasanov raconte qu'il n'a "pas pu fermer l'œil" la nuit précédant son voyage à Agdam. La cité aujourd'hui en ruines était la plus grande ville du Haut-Karabakh avant d'être rasée par les Arméniens.
"Mon âme brûlait à l'idée de revenir. Pour moi, c'était la plus belle ville du monde", s'émeut l'ouvrier, debout au milieu d'un terrain vague qui s'étend jusqu'aux lointaines montagnes bleutées.
Le gouvernement azerbaïdjanais a commencé en janvier à organiser des voyages réguliers en bus vers les "terres libérées".
C'est là la première étape de ce que Bakou appelle le "Grand retour", un plan gouvernemental ambitieux visant à repeupler le Karabakh avec son ancienne population azerbaïdjanaise.
Escortés par des policiers armés de fusils automatiques, des bus à destination d'Agdam et de Choucha, la capitale culturelle du Karabakh, quittent Bakou deux fois par semaine pour des voyages d'une journée qui ne laissent aux visiteurs que deux heures et demie pour revoir leurs anciennes maisons, lorsqu'elles sont encore debout.
"Notre maison se tenait derrière cette clôture", se souvient Ali Hasanov, les larmes aux yeux.
"Il y avait une allée bordée d'énormes platanes, sous lesquels nous jouions au backgammon ou aux dominos, et là-bas un stade de football, l'endroit préféré des gars de notre quartier".
Les destructions ont été telles qu'une autre réfugiée d'Agdam, Gulbeniz Jafarova, n'a même pas pu retrouver les ruines de sa maison.
"C'est comme si j'avais passé 30 ans en prison et que je venais d'être libérée", confie cette couturière de 55 ans.
Au cimetière d'Agdam, elle est allée se recueillir sur la tombe de son frère, tué à 27 ans en défendant la ville contre les forces séparatistes arméniennes.
"Les derniers mots de ma mère avant de mourir ont été: +Mon fils+. Je lui avais promis que je me rendrais sur sa tombe".
- "Notre place est ici" -
Le gouvernement azerbaïdjanais a assuré qu'il dépenserait des milliards de pétrodollars pour la reconstruction de la région, 1,3 milliard de dollars ayant été alloués dans le budget de l'an passé pour des projets d'infrastructures tels que de nouvelles routes, des ponts et des aéroports.
Bakou s'est engagé à transformer Agdam en l'une des plus grandes villes du pays et prévoit notamment d'y créer un parc industriel.
Le ministre des Affaires étrangères, Jeyhun Bayramov, a déclaré en janvier que "très prochainement, nous assisterons au retour des premières familles dans leurs foyers" au Haut-Karabakh.
Cependant, ce "grand retour" reste une perspective lointaine, étant donné l'ampleur des dévastations et les dangers que représentent les mines terrestres, largement utilisées dans le conflit qui s'est régulièrement ravivé au fil des décennies.
"Quel que soit le temps que cela puisse prendre, nous retournerons à Agdam", insiste Ali Hasanov. "Nous voulons vivre ici. Mes fils disent que notre place est ici."
(T.Burkhard--BBZ)