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A quatre ans, le petit garçon sait déjà reconnaître le sifflement des missiles russes qui s'abattent sur New York.
"En voilà un", signale le garçonnet avec calme, quelques secondes avant que ne retentisse l'explosion d'un bâtiment, non loin de là.
Sa mère, épuisée, ne prend même pas la peine de se baisser. Après bientôt trois mois de guerre entre l'Ukraine et la Russie, Valéria Kolakévytch a entendu tant de tirs d'artillerie qu'elle sait par instinct reconnaître ceux qui atterriront tout près et ceux qui frapperont un peu plus loin.
La nuit dernière, des tirs ont ciblé son quartier, dont quatre maisons voisines de la sienne. "C'était terrible", raconte-t-elle.
"Et le plus terrible, c'est qu'il n'y a rien ici, juste des civils", ajoute cette femme de 28 ans, tandis qu'un nouveau tir s'abat sur leur rue en pente.
Cette fois, sa fille de 11 ans pousse un léger gémissement et se couvre les oreilles. Son petit frère se recroqueville. Leur mère leur saisit la main et s'éloigne.
Les tirs continuent, tirés depuis des champs qui marquaient jusqu'à récemment la ligne de démarcation entre les territoires saisis par les forces séparatistes prorusses en 2014 et ceux restés sous contrôle ukrainien.
- "De pire en pire" -
L'invasion de l'Ukraine lancée le 24 février par le président russe Vladimir Poutine a soufflé sur les braises du conflit entre Kiev et les républiques autoproclamées du Donbass, soutenues par Moscou, qui a fait 14.000 morts en huit ans.
Et après leur assaut raté dans la région de Kiev, et leur récent désengagement de Kharkiv, les troupes russes concentrent leur offensive sur cette partie du Donbass, jusqu'à la zone côtière entre Marioupol et la presqu'île de Crimée.
Baptisée Novgorodské en 1951 par les autorités soviétiques, la petite ville de 10.000 habitants --principalement peuplée de russophones-- a décidé à l'été 2021 de reprendre le nom que lui avaient donné au début du XIXe siècle ses fondateurs allemands, après cinq ans de lutte de militants locaux.
Depuis un mois, elle est sous un feu nourri d'artillerie, qui s'intensifie chaque jour, selon ses résidents.
"C'est de pire en pire. Avant, ça tirait un peu, mais cela ne nous dérangeait pas vraiment", confie Valentyna Kanébalotskaïa, une couturière de 71 ans, tout en rassemblant ses affaires pour déménager chez sa fille, dans une partie un peu plus sûre de la ville.
"Maintenant, ils tirent depuis l'ouest, l'est et le sud".
- Délaissée -
L'armée ukrainienne concentre ses troupes dans les villes voisines de Severodonetsk et Lyssytchansk, plus stratégiques, au nord-est de la ligne de front.
Face à l'offensive des troupes russes, New York se retrouve délaissée. Devant une base militaire abandonnée, où s'entassent les sacs de sable, un mannequin sans tête surveille l'une des principales rues de la ville.
Quelques soldats esseulés errent sur la place centrale, bombardée à plusieurs reprises la semaine passée.
"Vous voyez ce cratère? Un avion russe a fait ça", dit l'un d'eux, qui dit s'appeler Oleksandr, montrant un immense trou dans la route de terre.
En arrière-plan, le quartier industriel de la ville fait pâle figure, avec une usine et plusieurs autres bâtiments détruits par les bombes.
- Danger chimique -
Les Russes pourraient frapper une usine non loin qui abrite du phénol, un composant chimique utilisé pour la peinture et l'industrie du plastique, craint Oleksandr.
"C'est très inquiétant. Juste un tir et cela se transformerait en arme chimique", explique le soldat de 36 ans. "Si ça se déverse au sol, les conséquences seront tragiques".
Moscou comme Kiev s'accusent régulièrement de préparer des attaques chimiques, des accusations qui semblent au moins en partie servir à rejeter toute responsabilité au cas où un tir frapperait par accident un site de produits dangereux.
Les habitants de New York, eux, sont davantage préoccupés par l'absence d'eau courante et de gaz. Et certains pointent du doigt l'armée ukrainienne.
"Les Ukrainiens viennent ici pour tirer depuis les collines puis ils partent. Ensuite, nous nous faisons tous bombarder", accuse Ieléna Valérianova.
Comme d'autres russophones, elle préfère donner son patronyme aux journalistes de l'AFP plutôt que son nom de famille, de peur de représailles de la part de responsables locaux ukrainiens.
Les séparatistes de la république autoproclamée prorusse de Donetsk (DNR) "nous traitent mieux", soupire-t-elle.
(B.Hartmann--BBZ)