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Prêts pour les semences, des milliers de sacs d'engrais s'entassent dans les hangars de la région de la Portuguesa (ouest), considérée comme le grenier du Venezuela. Mais les stocks sont insuffisants car la guerre en Ukraine, à 10.000 km de là, fait sentir ses effets.
Le Venezuela n'est pas un cas isolé : l'invasion de l'Ukraine par la Russie fin février a des conséquences dans toute l'Amérique latine, les deux pays étant de gros fournisseurs d'engrais dans toute la région.
"10 26 26", peut-on lire sur les sacs d'engrais russes utilisés par les agriculteurs à Turén, en référence à la composition de ces petites billes blanches, 10% d'azote, 26% de phosphore et 26% de potassium.
En ce début de saison des pluies, qui va d'avril à novembre, c'est l'heure de préparer les sols pour semer du maïs, base de l'alimentation des Vénézuéliens.
La Russie est le plus grand exportateur d’engrais au monde : 7,6 milliards de dollars de ventes annuelles en 2020 selon l’Observatoire économique de la compétitivité (OEC), représentant 12% de l'offre mondiale.
Ces exportations sont désormais pratiquement paralysées par la guerre et les sanctions internationales liées au conflit
Environ 80% des 180.000 tonnes métriques d'engrais dont a besoin chaque année le Venezuela viennent de Russie, d'Ukraine et du Belarus, selon la fédération des producteurs agricoles (Fedeagro).
"Grâce à Dieu, nous avons réussi à acheter des engrais à la Russie en octobre et novembre, nous avons payé en décembre et ils ont pu arriver en février et mars", indique à l'AFP Celso Fantinel, le président de Fedeagro.
Ce dernier alerte, cependant, sur un déficit équivalent à un tiers de la demande. Et il n'y a plus de temps pour le compenser car la météo n'attend pas.
- Industrie pétrochimique -
"Nous produisons à 30% de notre capacité", conséquence de la profonde crise économique qui a frappé le pays sud-américain ces dernières années.
"Et même comme ça, ces 30% n'ont pas les engrais nécessaires", regrette Ramon Bolotin, le président de l'Association des producteurs indépendants (PAI) à Turén.
"Les engrais chimiques sont essentiels" pour la productivité dans ce pays de 30 millions d'habitants où "3% de la population produit à manger pour les autres 97%". "Nous allons travailler avec ce que nous avons (...), dans certaines régions les doses seront moindres", explique-t-il.
Cette pénurie n'est pas une bonne nouvelle pour les agriculteurs vénézuéliens qui sont déjà confrontés au manque de carburant en raison de l'effondrement du secteur pétrolier.
Ils espèrent semer cette année 250.000 hectares de maïs, 50.000 de riz, 60.000 de canne à sucre et 70.000 d'autres cultures comme le café et le cacao, selon Fedeagro.
Mais le manque d’engrais constitue un obstacle important. Une bonne fertilisation est primordiale: un hectare de maïs peut produire une récolte de 10 tonnes, mais ce chiffre peut chuter à 3 ou 4 tonnes si les conditions ne sont pas réunies.
Et toute l'Amérique latine est confrontée à ce problème.
En 2021, le Brésil a importé 80% des 40 millions de tonnes d'engrais qu'il a utilisées, dont 20% provenaient de Russie, selon des chiffres officiels. L'Argentine importe 60% des 6 millions de tonnes qu'elle utilise, dont 15% de Russie.
Le Mexique, l'Equateur, la Colombie et le Pérou sont plus ou moins dépendants des engrais russes.
L'effondrement de l'industrie pétrolière au Venezuela a également eu un impact sur l'industrie pétrochimique qui, par le passé, couvrait la demande intérieure d'engrais.
"Au cours des trois dernières années, nous avons organisé l’acheminement des engrais nous-mêmes" par le biais d'intermédiaires, explique Osman Quero, vice-président de Fedeagro.
Mais dernièrement les exportateurs, en raison de la situation en Russie, ont souvent cessé leurs ventes afin de réserver les engrais pour leur marché intérieur.
Les agriculteurs vénézuéliens demandent notamment la réactivation du complexe pétrochimique de Moron (nord). Selon la compagnie publique de pétrole PDVSA, elle a la capacité de produire 150.000 tonnes métriques d'engrais azotés et phosphatés par an.
Mais elle est semi-paralysée depuis 2017. "Nous disposons de deux ingrédients fondamentaux : l'urée (azote) et le phosphore et nous n'aurions besoin d'importer que du chlorure de potassium", résume M. Fantinel.
(K.Lüdke--BBZ)