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Les élections les plus disputées de l'histoire de la Namibie ont tourné mercredi au désastre organisationnel: le vote, prolongé indéfiniment face aux immenses files d'électeurs, s'est prolongé jusqu'au matin de jeudi bien au-delà de la fermeture des bureaux de vote prévue la veille.
A l'université des Sciences et Technologie dans la capitale Windhoek, les opérations de vote n'ont pris fin qu'à 5H00, ont indiqué à l'AFP des membres du bureau de vote ayant commencé, malgré la nuit blanche, le dépouillement. La centaine de chaises bleues empilées dans la cour témoigne de l'affluence jusque tard.
Est-ce l'indication d'une participation élevée qui serait un mauvais signal pour la Swapo, le parti au pouvoir depuis l'indépendance en 1990, plus défié que jamais? Sa candidate Netumbo Nandi-Ndaitwah, en position de devenir la première femme présidente de ce pays d'Afrique australe, pourrait être contrainte à un second tour inédit.
Dans le bureau de vote de la mairie de la capitale, Windhoek, comme dans d'innombrables autres dans le pays, les opérations ont été suspendues un moment la veille faute de bulletins. Après une heure d'arrêt, des applaudissements pour saluer l'arrivée des blocs de papiers ont réveillé les électeurs somnolant assis, à 23H30. Le dernier électeur y a voté quatre heures et demie après la fermeture du bureau.
"C'est navrant d'attendre pendant des heures et des heures pour qu'il y ait des défaillances comme une pénurie de bulletins. Les électeurs se sont déplacés, mais la commission électorale nous a trahis", s'est désolé Reagan Cooper, cultivateur de 43 ans parmi la centaine de naufragés de la nuit devant l'hôtel de ville.
Armés de patience, de chaises pliantes et de parapluies pour venir à bout de files progressant à un rythme de pachyderme, les Namibiens ont piétiné parfois jusqu'à douze heures, sous un soleil de plomb avant de pouvoir voter.
Les tablettes servant à vérifier les identités au moyen des empreintes digitales ont aussi connu des pannes dans plusieurs bureaux.
Le Parti des patriotes indépendants (IPC), principale formation de l'opposition, a accusé la commission électorale de "tenter délibérément de dissuader les électeurs de voter", par la voix de sa secrétaire générale Christine Aochamus.
- Chômage massif, inégalités béantes -
Face aux critiques de tous les partis - Swapo comprise -, la commission a décidé d'une prolongation du vote "sans durée spécifiée", a indiqué son responsable pour la région de Windhoek Rakondjerua Kavari.
La candidate de la Swapo Netumbo Nandi-Ndaitwah ("NNN"), figure à 72 ans de la lutte pour la libération, avait appelé les 1,5 million d'électeurs inscrits à "voter en nombre" au moment de glisser son bulletin dès l'ouverture.
"NNN" affronte la concurrence de l'ex-dentiste et avocat Panduleni Itula, 67 ans, qui a fondé en 2020 sa propre formation, le Parti des patriotes indépendants. Sans formation sur laquelle s'appuyer en 2019, il avait réuni alors 29,4% des suffrages.
Chômage massif, inégalités persistantes et renouvellement des générations ont érodé le soutien à la Swapo sur ce territoire désertique d'Afrique australe qui figure parmi les premiers fournisseurs mondiaux d'uranium.
"Mon père était un héros de la libération. Je n'abandonnerai pas la Swapo, c'est ma famille. Mais je veux qu'elle soit mise au défi", témoigne Marvyn Pescha, un auto-entrepreneur de 50 ans, habitant de Katutura, le principal township de Windhoek. "Certains dirigeants opportunistes ont terni la réputation du parti en l'utilisant à des fins d'enrichissement personnel", regrette-t-il.
Un second tour à la présidentielle est pour la première fois une "option assez réaliste", selon Henning Melber, chercheur à l'Institut nordique de l'Afrique d'Uppsala (Suède).
Après avoir immortalisé sa première expérience d'électrice en photographiant son pouce bleui par l'encre indélébile, Sophia Varela, 24 ans, confie qu'elle "espère du changement" et du "travail pour les jeunes", si nombreux dans ce pays où plus de 60% de la population a moins de 30 ans.
A l'issue de trois décennies de règne de la Swapo, mouvement d'inspiration marxiste du temps de la lutte contre l'occupation de l'Afrique du sud de l'apartheid, la Namibie demeure selon la Banque mondiale, le deuxième pays le plus inégalitaire de la planète, après justement l'Afrique du Sud.
"L'abondante activité minière ne se traduit pas vraiment" par "des opportunités d'emploi", observe l'analyste indépendante Marisa Lourenço. En 2018, année des derniers chiffres diffusés, 46% des 18-34 ans étaient sans emploi.
La Swapo, qui a combattu pour l'indépendance du pays, peut craindre le même sort que ses partis de libération frères dans la région, affaibli comme l'ANC en Afrique du Sud ou balayé comme le BDP au Botswana.
(L.Kaufmann--BBZ)