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Contre-vidéos, courriers à l'employeur, huissiers, campagne hostile: le patron de Body Minute a tout tenté pour effacer la vidéo moqueuse d'une influenceuse sur TikTok, jusqu'à l'assigner au tribunal de commerce de Paris pour "dénigrement". L'audience est prévue jeudi.
L'affaire démarre en octobre 2022, quand l'influenceuse Laurène Lévy caricature sur TikTok les travers d'une épilation chez Body Minute, première chaîne de salons de beauté en France. Une parodie, classique sur les réseaux pour critiquer une enseigne.
La vidéo compte seulement quelques dizaines de milliers de vues mais figure haut dans les moteurs de recherche, à cause du hashtag #bodyminute. Le fondateur de Body Minute, Jean-Christophe David (fils du coiffeur Jean-Louis David), le découvre sans pouvoir l'empêcher, un principe clé des réseaux sociaux.
Deux ans plus tard, il ne décolère pas. "On n'est pas maître de son hashtag, il est jeté à la vindicte publique !", dit-il à l'AFP.
Quand d'autres marques optent pour l'humour ou la discrétion, lui contre-attaque tous azimuts pour, plaide-t-il, défendre les 2.200 jeunes esthéticiennes de ses 450 salons franchisés.
"Fin 2022, les filles viennent me voir, la mine rongée, et me montrent la vidéo d'une fille qui se fout de la gueule ouvertement de toutes les filles qui travaillent dans l'esthétique. Je me dis, on ne peut pas laisser ça. On écrit à la fille pour lui dire mademoiselle, il y a un problème. Elle ne nous répond pas. Alors on écrit à son employeur, une agence de communication, en disant +faites gaffe, une de vos employées vient de faire une vidéo dégueulasse+".
Laurène Lévy - qui n'a pas répondu aux sollicitations de l'AFP - raconte publiquement ces tentatives: "Ils ont ensuite envoyé des huissiers dans mon entreprise pour fouiller les ordinateurs afin de prouver que mon employeur m'avait demandé de dénigrer Body Minute pour le compte d'un concurrent. Sauf que c'était faux !".
Elle reçoit le soutien d'internautes scandalisés, qui fustigent une tentative de museler la parole sur les réseaux sociaux.
Sa vidéo devient virale, Body Minute est cloué au pilori.
"N'hésitez surtout pas à me dire vos mauvaises expériences chez Body Minute, parce qu'apparemment on n'a pas le droit d'en parler !", ironise @dairingtia.
Un typique "effet Streisand", du nom de la chanteuse qui, en voulant faire censurer une obscure photo, l'a rendue célèbre.
- 300.000 euros pour noyer la vidéo -
Le patron de Body Minute demande en vain à TikTok de bloquer la vidéo, puis encourage ses employées à faire pression sur l'influenceuse, surnommée dans un courrier interne "Laurène La Haine".
"J'ai dit à toutes mes filles, écrivez-lui, demandez-lui d'arrêter. Mais comme elle fait peur, mes filles n'osent pas. Elle est très forte", explique-t-il.
Deux esthéticiennes préviennent Laurène Lévy, qui dénonce publiquement cette manoeuvre.
Jean-Christophe David multiplie alors les vidéos de promotion, l'une accusant même l'influenceuse de faux commentaires.
Mais celle de Laurène Lévy resurgit systématiquement.
"Les agences spécialisées TikTok m'ont toutes appelé - j'en ai pris trois en deux ans - et m'ont dit +vous allez voir, on va la faire baisser+. Ça m'a coûté 300.000 balles !", explique-t-il. TikTok lui propose une vidéo sponsorisée, visible en tête des recherches: "60.000 balles !".
TikTok n'a pas souhaité s'exprimer auprès de l'AFP.
- Droit de critiquer -
En décembre dernier, Body Minute assigne finalement Laurène Lévy pour "dénigrement" - notion qui vise en principe des concurrents - et l'accuse d'en tirer profit en gagnant des abonnés (339.000 aujourd'hui).
Un pari car la jurisprudence privilégie la liberté d'expression, soulignent des avocats spécialisés.
"Entre liberté d'expression et droit des marques, le juge fait un examen de proportionnalité. Or la jurisprudence donne de plus en plus le pouvoir aux consommateurs", commente Me Yann-Maël Larher.
"Le principe constitutionnel de liberté d'expression autorise et même promeut le droit de critique, notamment le droit à l'humour. Même si ce n'est pas un blanc-seing", confirme Me Basile Ader, du cabinet August Debouzy, sans se prononcer sur l'affaire. "Clairement la justice penche pour la liberté d'expression, surtout avec les nouvelles dispositions contre les procédures-bâillon, qui tentent de faire taire quelqu'un qui avait le droit de parler".
Les entreprises préfèrent généralement juste menacer de poursuivre, ce qui fonctionne souvent. Car la confusion règne sur ce qui est autorisé ou non, conclut Me Ader.
(F.Schuster--BBZ)