Berliner Boersenzeitung - Etre transgenre dans la campagne française, au-delà de l'isolement

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Etre transgenre dans la campagne française, au-delà de l'isolement
Etre transgenre dans la campagne française, au-delà de l'isolement / Photo: JEFF PACHOUD - AFP

Etre transgenre dans la campagne française, au-delà de l'isolement

Au cours de sa transition, Valérie Montchalin, femme transgenre de 52 ans, a dû faire le tri dans ses amis. Certains lui ont tourné le dos. Elle n'a pas été invitée au "repas de la classe" qui rassemble les habitants de son village natal.

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Mme Montchalin habite Saint-Victor-Malescours, 700 habitants, où tout le monde se connaît depuis toujours. Longtemps, elle a dû faire face seule à son désir d'être une femme.

"Déjà à six-sept ans, je me sentais mal sans pouvoir mettre des mots dessus. Mais si j'avais dit à ma mère que je ne me sentais pas bien dans mon corps, j'aurais pris une paire de gifles" - la peur du "qu'en dira-t-on", explique-t-elle.

Alors, en grandissant, "j'ai fait ce qu'on attendait de moi": le métier de maçon, le mariage à 22 ans, deux enfants et une personnalité "bourrue, plutôt macho, aux antipodes de ce que je suis réellement."

Elle raconte les années de "souffrance", son malaise dans les boutiques de vêtements masculins, dans le miroir du coiffeur, avant finalement à l'âge de 48 ans de se confier à ses proches.

Depuis, elle se rend en ville à Saint-Etienne pour se faire prescrire des hormones. Elle a laissé pousser ses cheveux, va chez l'esthéticienne - "je suis coquette". Ses salariés, au départ "choqués", lui font maintenant "la bise".

Ce parcours, qu'elle n'estime pas "militant", fait écho à celui des six autres personnes transgenres issues du milieu rural du centre de la France qui ont accepté de se confier à une journaliste de l'AFP ces derniers mois.

Etre trangenre à la campagne, c'est cheminer seul, assumer les regards de travers, parcourir de longues distances pour un suivi médical.

- "Rejet" -

Rarement le destin des personnes transgenres aura été autant évoqué.

D'un côté, le film "Emilia Perez", qui raconte la transition d'un narcotrafiquant mexicain, a été récompensé aux Oscars, aux Golden Globes, à Cannes.

De l'autre, Donald Trump a annoncé un arrêt des politiques en faveur des personnes transgenres aux Etats-Unis, suivi par plusieurs pays.

En France, si quelques très rares personnes transgenres ont fait leur apparition dans des conseils municipaux depuis 2020, "on est loin encore d'avoir des personnes trans représentées politiquement, sociétalement", relève Virginie Le Corre, sociologue au laboratoire LinCS de Strasbourg.

Il y aurait dans le pays entre 20.000 et 60.000 personnes transgenres, selon un rapport remis en 2022 au ministère de la Santé.

Dans son cabinet de Clermont-Ferrand, la gynécologue Maud Karinthi, spécialiste de la transidentité, voit passer beaucoup de ces patients venus de petits villages qui mènent, selon elle, un "parcours du combattant".

"J'ai une patientèle très rurale avec des gens qui viennent de loin", "l'autre problématique" des ruraux transgenres, c'est "la méconnaissance" et "le rejet dans leur petite communauté", ce qui conduit à "l'isolement", résume-t-elle.

- "En parler à personne" -

"Le problème de la campagne, c'est qu'on ne peut pas en parler et qu'il n'y a aucun accès à l'information", témoigne Valentin (prénom modifié), homme transgenre de 25 ans.

Ce n'est qu'à 18 ans qu'il a pu mettre des mots sur son mal-être. "Sur les réseaux, j'ai découvert l'existence des personnes transgenres et qu'on pouvait changer de genre. Je me suis dit +mon problème, c'est ça+."

"Ca a changé ma vie", dit cet autoentrepreneur qui préfère taire son nom "par sécurité" par rapport à son travail.

L'absence d'associations et de représentants sur la prévention sexuelle est "très dommageable en milieu rural", alors que le système scolaire a "beaucoup de retard à rattraper", note Mme Le Corre.

Inès, 29 ans, qui est non-binaire et ne se reconnaît dans aucun genre, dit avoir "beaucoup de mal" quand on la renvoie "à son image de femme".

Mais cette responsable d'un gîte dans une station de ski de 1.000 habitants en Savoie n'a pas fait son coming-out de peur de ne "pas être comprise": "la non-binarité ne renvoie à rien de concret pour les gens".

Si l'accès à la chirurgie d'affirmation pour les personnes trans se développe en France, elle "reste difficile, avec des délais qui se comptent en années (de deux à cinq ans), du fait d'une offre de soins trop limitée et mal répartie géographiquement", notent les auteurs du rapport remis au ministère de la Santé.

"Dans la campagne où j'ai évolué, on n'avait qu'un cabinet médical où les médecins étaient là un jour sur quatre. Si on voulait se renseigner, il fallait aller dans des villes plus éloignées", explique Isaac Douhet, homme transgenre de 25 ans, qui a fait une mammectomie à Clermont-Ferrand et devra se rendre à Lyon pour sa phalloplastie à deux heures de route de chez lui.

Armelle, femme transgenre de 22 ans, employée dans une fromagerie, fait les allers-retours entre Aurillac, où elle vit, et Clermont-Ferrand, où elle est suivie, soit quatre heures de route à chaque fois.

- Regard -

En zone rurale, "il faut avoir une sacrée force de caractère pour ne pas se laisser toucher par le regard des autres", dit Armelle.

"Ce n'est pas toujours évident", confirme Isaac Douhet : si la famille d'accueil où il a été placé enfant et ses voisins ont "bien vécu" sa transition, il a rencontré des attitudes malveillantes, surtout en milieu scolaire.

"Les gens ne comprennent pas, ils vous regardent de travers, se retournent dans la rue, il va y avoir des insultes." Lors d'une formation, il a été passé à tabac par d'autres élèves.

Sarah Valroff, autoentrepreneur non-binaire de 29 ans au style androgyne, se fait appeler Saraph (contraction de son prénom de naissance et de Raphaël) et a adopté le pronom "iel" (pour mêler il et elle).

Pour ne pas s'attirer d'ennuis, il évite de s'"habiller en homme dans le centre du bourg" d'Ambert où il s'est installé fin août, parfois "de tenir la main" de son compagnon.

"Plus l'environnement est petit, plus celles et ceux qui vont sortir du lot vont renforcer leur singularité", constate Mme Le Corre. "C'est un peu du cas par cas" mais "ce sont plus des questions générationnelles que géographiques."

Plusieurs des témoins interrogés ont fait le choix de partir vivre en ville.

Valentin s'est installé à Vichy, Isaac Douhet à Clermont-Ferrand où il apprécie d'être "noyé dans le monde" et peut facilement se rendre au 25 Gisèle Halimi, lieu d'accueil pour les femmes et les hommes transgenres où la docteure Karinthi le suit.

Armelle envisage de déménager dans une grande ville pour faciliter son suivi, se sentir "plus à l'aise" et rencontrer d'autres personnes trans.

- Podcast -

Pourtant, "il y a une nouvelle ruralité qui s'ouvre, avec des personnes qui partent de la ville pour s'installer en milieu rural et qui développent des associations", selon la sociologue Virginie Le Corre.

Il y a une "différence notoire entre les plus jeunes qui ont eu internet et les autres (...) enfermés sur leur village". Aujourd'hui, les personnes trans acceptent davantage de parler, "refusent de se cacher, souvent par militantisme".

Dans son podcast "Horizons queer" Saraph met en lumière des parcours et des modes de vie de personnes queer en zone rurale, "pour donner des représentations aux plus jeunes", "être l'adulte" qu'il aurait "aimé voir dans (son) enfance".

Dermot Duchossois, un homme transgenre de 23 ans à la barbe naissante, s'est épanoui à Pionsat, 1.000 habitants, où il est auxiliaire de vie.

Seuls les responsables de la grande surface où il travaillait quand il a effectué sa transition ne l'ont pas acceptée: "Ils refusaient que je sois dans le vestiaire des hommes, c'était gênant pour moi d'être avec des filles en sous-vêtements..."

Sinon, "je ne me suis jamais senti regardé quand j'ai commencé à changer dans mon village. Ca a été très bien accepté. Les personnes, même très âgées, demandaient toujours de mes nouvelles".

(T.Renner--BBZ)