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L'assassinat du journaliste britannique Dom Phillips et de l'expert indigène Bruno Pereira dans l'Amazonie brésilienne n'a, selon l'enquête, pas de mobile officiel. Mais sur place, beaucoup n'hésitent pas à faire le lien entre pêche illégale et blanchiment d'argent du trafic de drogue.
Bruno Pereira avait reçu des menaces de mort pour sa lutte contre le braconnage du pirarucu, savoureux et convoité plus gros poisson d'eau douce d'Amérique du Sud, que les non-autochtones sont interdits de pêcher dans cette vallée du Javari où les deux hommes ont disparu le 5 juin.
"Il a mené une grande campagne contre la pêche illégale. Tous ces types (les braconniers de la région) connaissaient Bruno", déclare Orlando Possuelo, 37 ans, qui a travaillé au côté de l'expert à la mise en place de patrouilles indigènes contre le braconnage, ce qui lui a valu, lui aussi, des menaces de mort.
Selon les enquêteurs, Pereira, 41 ans, et Phillips, 57 ans, descendaient les méandres de la rivière Itaquai à bord d'un petit bateau lorsqu'un groupe est arrivé par l'arrière et les a abattus. La police a identifié huit suspects et en a arrêté trois jusqu'à présent.
Les habitants d'Atalaia do Norte, une ville fluviale endormie située près de la limite nord-est de la réserve, affirment que les trois sont des braconniers qui pêchent illégalement en territoire indigène le pirarucu, espèce protégée qui peut atteindre 4,5 mètres et peser jusqu'à 200 kg.
- "Tout le monde ici le sait" -
Sur place, les pêcheurs affirment que le braconnage du pirarucu est une activité lucrative liée aux trafiquants de drogue opérant au Pérou et en Colombie voisins. Le commerce du poisson au marché noir permettrait de blanchir l'argent de la drogue: une des "chaînes criminelles nationales et transnationales complexes qui opèrent à travers différentes économies" en Amazonie, selon le Forum brésilien pour la sécurité publique.
"Ce qui est arrivé à Bruno et Dom est le résultat d'une augmentation du crime organisé, qui s'explique à son tour par l'absence de l'Etat", juge Antenor Vaz, ex-chef des opérations de l'agence brésilienne des affaires indigènes (FUNAI) dans la vallée du Javari.
Ce lien présumé avec le narcotrafic a soulevé la question de savoir si les suspects ont agi seuls. La police fédérale est affirmative et exclut l'implication d'un "commanditaire ou d'une organisation criminelle".
Le groupe de défense des droits des indigènes où travaillait Pereira, l'UNIVAJA, réfute cette version et accuse la police d'ignorer les preuves "considérables" qu'une "puissante organisation criminelle" se cache derrière ces assassinats.
"Tout le monde ici sait que le crime organisé est impliqué", affirme à l'AFP le chef de l'UNIVAJA, Paulo Marubo.
- "Tuer et s'en tirer" -
Sur le marché aux poissons d'Atalaia, un hangar bruyant au sol bétonné, le pirarucu a disparu des étals en carreaux blancs... depuis la disparition de Phillips et Pereira.
Sa pêche légale et restreinte est autorisée dans six lacs situés à l'extérieur de la réserve autochtone mais une grande partie du pirarucu qui s'y monnaie est probablement illégale.
Selon un rapport de l'Union internationale pour la conservation de la nature, 83% du poisson illégal saisi au Brésil entre 2012 et 2019 était du pirarucu.
"Avec l'armée ici et tout le monde nous accusant de cette atrocité, même les pêcheurs légaux ont peur de sortir en ce moment", dit le président de l'association locale des pêcheurs, Roberto Pereira da Costa, 49 ans.
Selon lui, "les pêcheurs légaux sont injustement diabolisés" alors que "c'est facile de voir la différence entre les illégaux et nous. Eux ils ont de gros bateaux, des moteurs rapides, ils ne se contentent pas d'attraper 15 kilos de poisson pour nourrir leur famille, ils essaient de prendre tout ce qu'ils peuvent".
En décembre, la journaliste d'Al Jazeera Monica Yanakiew avait accompagné Bruno Pereira pour une expédition similaire à celle menée avec Dom Phillips. Son équipe l'a même filmé en train d'avertir le principal suspect dans l'affaire de ne pas pêcher sur les terres indigènes.
Les braconniers sont devenus "furieux" lorsque les patrouilles de Pereira ont saisi leurs poissons, raconte la journaliste. Mais "l'histoire est plus compliquée que ça", dit-elle.
Bruno Pereira n'aurait pas eu besoin de monter ces patrouilles indépendantes si l'administration du président Jair Bolsonaro n'avait pas drastiquement réduit les opérations de la FUNAI et des autorités environnementales.
"Le fait que le gouvernement ait fermé les yeux sur tout ce qui se passe a donné du pouvoir" aux criminels, dit Monica Yanakiew. "Ils ont même pensé qu'ils pouvaient tuer et s'en tirer".
(G.Gruner--BBZ)