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Un président qui décrète la loi martiale en pleine nuit, l'armée défiée par les députés et la rue: la tentative de coup de force mardi en Corée du Sud constitue un nouveau coup de boutoir contre les démocraties libérales déjà largement fragilisées à travers le monde.
Séoul a brusquement sombré dans le chaos politique avec l'instauration surprise de la loi martiale par le président conservateur Yoon Suk Yeol "pour protéger" le pays "des menaces posées par les forces communistes nord-coréennes et éliminer les éléments hostiles à l'Etat".
Si la mesure a été abrogée in extremis par les députés de l'opposition soutenus par une foule en colère massée devant l'Assemblée nationale, et que le chef de l'Etat risque désormais la destitution, la Corée du Sud a vu ressurgir le spectre de la dictature, révolue depuis près de 40 ans.
Même éphémère, cet épisode illustre une nouvelle fois les menaces qui pèsent sur le modèle démocratique érigé après 1945 et consolidé après l'effondrement du bloc soviétique à la fin du XXe siècle, en recul depuis une vingtaine d'années.
Au terme d'une année électorale riche, avec plus de la moitié de la population mondiale en âge de voter appelée aux urnes, les dérives autoritaires observées un peu partout inquiètent, de même que la multiplication des violences et les manipulations des scrutins, selon un récent rapport de l'organisation américaine Freedom House.
2024 a vu advenir la réélection sans surprise d'autocrates "durs", comme Vladimir Poutine en Russie (avec 87% des voix) ou Ilham Aliyev en Azerbaïdjan (plus de 90% des voix).
Les hommes forts maintiennent aussi leur emprise dans des démocraties dites "hybrides", même s'il doivent composer avec des oppositions organisées et déterminées, comme en Inde ou en Turquie, où les partis de Narendra Modi et Recep Tayyip Erdogan ont enregistré un recul notable aux législatives et municipales.
- "Moment dangereux" -
Désormais, même les pays où la compétition électorale est la plus ouverte vacillent: la Corée du Sud cette nuit mais aussi les Etats-Unis, gardiens autoproclamés de la démocratie dans le monde, où le populiste Donald Trump a été réélu en novembre.
Le milliardaire à l'entourage ultraconservateur a promis de mettre au pas la justice, de punir les médias hostiles, voire de nommer les fonctionnaires en fonction de leur idéologie.
S'il applique son programme, "l'Amérique connaîtra l'attaque la plus violente contre les contre-pouvoirs et les libertés civiles de son histoire en temps de paix", s'inquiète le chercheur américain Larry Diamond dans la revue Foreign Affairs, persuadé que le dirigeant se montrera "plus implacable" que lors de son premier mandat.
"Nous sommes à un moment dangereux, et pas seulement aux Etats-Unis", confirme à l'AFP Max Bergmann, du Center for Strategic and International Studies (CSIS).
En Europe aussi, on voit "des politiques de plus en plus polarisées et fragmentées" où "il devient plus difficile de faire des compromis et de gouverner, au point de faire éclater des coalitions au pouvoir", souligne le chercheur.
En France, l'Assemblée nationale s'apprête à faire tomber mercredi l'exécutif formé après une dissolution controversée en juin et des législatives anticipées. En l'absence de majorité parlementaire, des courants irréconciliables (gauche, extrême droite et centre-droit) s'écharpent quotidiennement sur tous les sujets, empêchant toute réforme, à commencer par l'adoption du budget 2025 à l'origine de l'impasse actuelle.
En Allemagne, l'alliance entre les sociaux-démocrates du chancelier allemand Olaf Scholz, les libéraux et les écologistes, a explosé en novembre et ouvert une crise politique aux lendemains incertains, avec des législatives anticipées prévues en février.
Aux Pays-Bas, une fragile coalition de quatre partis minée par les divisions tente de gouverner après l'éclatement de la précédente fin 2023.
- Défiance et repli -
Cette volatilité s'explique notamment par "une crise de confiance inédite depuis 1945 dans les partis politiques et les médias", explique Bertrand Badie, spécialiste des relations internationales à Sciences Po.
"Il y a un vrai tarissement de l'offre politique", poursuit-il: "en France ou aux Etats-Unis, que proposaient Macron ou (Kamala) Harris, si ce n'est d'empêcher leurs rivaux - Trump et l'extrême droite de Marine Le Pen - d'accéder au pouvoir? Cela pose un gros problème de légitimité."
Un climat de défiance qui profite bien souvent aux partis populistes et d'extrême droite, en nette ascension aux législatives européennes de juin comme dans les scrutins nationaux en Allemagne, en France, aux Pays-Bas, ou avant cette année en Italie et en Hongrie. En Roumanie, un candidat d'extrême droite, arrivé en tête du premier tour de la présidentielle, pourrait aussi ravir le pouvoir dimanche.
Le constat est là: nombre d'électeurs s'accrochent à des arguments comme la lutte contre l'immigration et le rétablissement de leur pouvoir d'achat. Ils privilégient de plus en plus les personnalités incarnant une certaine autorité, à l'image du Hongrois Viktor Orban ou de Donald Trump.
"La planète et les sociétés vivent une grande transformation. La mondialisation libérale n'apporte plus les réponses pour des millions de personnes inquiètes de ces changements parfois radicaux dans la manière de vivre avec autrui, de se déplacer ou de produire", décrypte pour l'AFP Gilles Gressani, directeur de la revue géopolitique Le Grand Continent.
"La conséquence, c'est qu'il y a une demande de plus en plus forte d'arrêter le changement, et puisque cela parait de plus en plus improbable, la tentation illusoire du repli".
(T.Burkhard--BBZ)