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Rester sur la voie pro-européenne ou faire un saut dans l'inconnu: la Roumanie pourrait élire dimanche son premier président d'extrême droite, un choix crucial pour l'avenir de cet Etat membre de l'UE et de l'Otan, voisin de l'Ukraine.
Face au candidat nationaliste Calin Georgescu, ex-haut fonctionnaire de 62 ans qui a pris tout le monde de court en finissant en tête du premier tour, figure Elena Lasconi, maire centre-droit d'une petite ville, de dix ans sa cadette.
Pour tenter de faire mentir les pronostics, cette journaliste reconvertie en politique, qui est allée prier au monastère pour "la démocratie", insiste sur l'enjeu du scrutin.
Il s'agit d'une "bataille existentielle", dit-elle : "une confrontation" entre ceux qui veulent "préserver la jeune démocratie roumaine", née de la révolution de 1989, et ceux qui veulent "revenir dans la sphère d'influence russe".
Le pays d'Europe orientale traverse une période turbulente, où se sont succédé élections, nouveau décompte, craintes d'annulation du scrutin, accusations d'ingérence russe et suspicions de traitement déséquilibré des candidats par l'application TikTok, le réseau privilégié de M. Georgescu.
Réagissant à la déclassification mercredi de documents pointant le rôle de la plateforme dans la campagne, le Premier ministre social-démocrate sortant Marcel Ciolacu a apporté son soutien à Mme Lasconi après celui déjà apporté par les libéraux.
Pas sûr cependant que ce soit suffisant. Les sondages réalisés avant cette annonce la placent à 42%, loin derrière son rival (58%), des estimations à prendre toutefois avec prudence.
- "Sur la carte du monde" -
Accusé par ses détracteurs d'être prorusse, Calin Georgescu évite désormais de répondre aux questions sur sa vision de Vladimir Poutine, pour lequel il a affiché par le passé son admiration.
Critique de l'UE et de l'Otan, il affirme ne pas vouloir en sortir mais veut "replacer la Roumanie sur la carte du monde" et s'oppose à l'aide militaire à l'Ukraine, affirmant s'inspirer de son idole Donald Trump.
Dans ce pays parmi les plus pauvres de l'UE, son discours nationaliste empreint de mysticisme a fait mouche sur les réseaux sociaux.
Mais il inquiète sur le continent. La crainte : que cet Etat, devenu stratégique depuis le début de la guerre en Ukraine, ne rejoigne le bloc de droite dure et ne mine l'unité européenne face à la Russie.
"Le second tour est vu comme un référendum sur l'orientation future de la politique étrangère du pays", analyse pour l'AFP Marius Ghincea, politologue à l'ETH de Zurich.
Si la Roumanie est aujourd'hui "un pays fiable et prévisible pour l'Occident libéral, une victoire de Calin Georgescu alignerait le pays avec la Hongrie et la Slovaquie", dont les dirigeants Viktor Orban et Robert Fico "cherchent à limiter l'influence supranationale de l'Union européenne".
- "Union nationale" -
Le scrutin est suivi de près à Bruxelles mais aussi dans la Moldavie voisine, où la dirigeante Maia Sandu, détentrice d'un passeport roumain, a envoyé un message vidéo appelant à voter pour "une Roumanie forte, européenne et libre".
En Géorgie, où les manifestations se succèdent, la cheffe d'Etat pro-occidentale Salomé Zourabichvili a adressé ses voeux de victoire à Elena Lasconi.
Le président de la République roumaine occupe une fonction essentiellement protocolaire mais exerce un magistère moral important et une influence en politique étrangère.
Il joue aussi un rôle clé dans la formation du gouvernement, compliquée par une assemblée nationale fragmentée et sans majorité claire à l'issue des législatives de dimanche dernier.
Désormais, le pays apparaît divisé. Le parti social-démocrate est certes la première force du Parlement, mais l'extrême droite a obtenu un tiers des suffrages.
Jamais, depuis la chute du communisme, la Roumanie n'a connu une telle percée, alimentée par la colère d'une grande partie des 19 millions d'habitants face aux difficultés économiques, la guerre de l'autre côté de la frontière et une classe politique traditionnelle jugée hautaine et déconnectée.
Dans un appel commun lancé mercredi soir, quatre partis favorables à l'UE, réunissant une majorité absolue au Parlement, ont signé un accord pour former un gouvernement futur "d'union nationale", appelant les citoyens à rejeter dimanche "l'isolationnisme, l'extrémisme et le populisme".
(S.G.Stein--BBZ)