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Les survivants des bombardements atomiques américains sur le Japon recevront mardi le prix Nobel de la paix, mais après des décennies passées à témoigner, ils restent marqués par le douloureux souvenir de la discrimination.
Le gouvernement nippon recense environ 106.800 "hibakusha" (littéralement "personnes affectées par la bombe") toujours en vie aujourd'hui, rescapés des bombardements de Hiroshima et Nagasaki, les 6 et 9 août 1945, qui ont conduit à la capitulation du Japon et à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Leur moyenne d'âge est de 85 ans.
Ces survivants "étaient victimes d'une terrible discrimination en raison de leurs cicatrices et de leur exposition aux radiations", raconte à l'AFP l'une d'entre elles, Reiko Yamada, âgée de 90 ans.
Certains hibakusha "ont été dépouillés de tout ce qu'ils possédaient". "Les gens leur disaient: +Ne vous mariez pas+ ou +Ne vous approchez pas, vous êtes contagieux+".
Mme Yamada avait 11 ans et vivait à Hiroshima lorsque les Etats-Unis ont largué la première bombe A sur cette ville de l'ouest du Japon, tuant environ 140.000 personnes. Trois jours plus tard, une autre attaque sur Nagasaki a fait 74.000 morts supplémentaires.
Durant six décennies, cette survivante a voyagé dans le monde entier pour partager son expérience, que beaucoup préféraient taire: "lorsque je visitais les maisons des hibakusha, certains me chuchotaient: +Vous êtes une hibakusha, n'est-ce pas? Moi, je n'en parle pas à mes enfants+".
Le prix Nobel de la paix a été décerné à l'association Nihon Hidankyo qui regroupe des survivants de la bombe A, faisant campagne pour les droits des hibakusha et pour un monde sans armes nucléaires.
- Se fondre dans la population -
Mais cette reconnaissance ultime arrive trop tard pour de nombreux militants de la première heure qui avaient témoigné de leur traumatisme et de leurs blessures physiques, dans l'espoir d'empêcher que d'autres ne souffrent comme eux.
Terumi Tanaka, le coprésident de Nihon Hidankyo, âgé de 92 ans, a récemment déclaré à la presse qu'il était "triste et frustrant" que "tant de personnes qui se tenaient à mes côtés" ne soient pas là pour partager l'honneur.
Après la Seconde Guerre mondiale, de nombreux jeunes sont partis vers les grandes villes à la recherche de travail et d'une meilleure éducation, y compris des hibakusha, dont beaucoup ont choisi de vivre dans un relatif isolement, tentant de se fondre dans la population.
"Beaucoup ont eu des difficultés", préférant souvent ne pas avoir d'enfants en raison des inquiétudes suscitées par les effets des radiations, raconte Michiko Murata, 73 ans, de l'association de hibakusha Toyukai.
Des membres de Toyukai ont construit une tombe commune à Tokyo en 2005, où reposent environ 60 personnes. Mais avec l'âge, il est devenu trop difficile d'y organiser des cérémonies chaque année, et celle de l'an prochain sera la dernière.
"Nous inscrivons ici avec nos vies: ne tolérez jamais les bombes nucléaires", peut-on lire sur une pierre près de la tombe.
Beaucoup de hibakusha n'avaient pas de famille pour leur offrir des funérailles dignes de ce nom, se souvient Michiko Murata.
"Ils vivaient seuls, donc après leur mort, ils voulaient être avec d'autres, dans un endroit où ils pourraient parler d'Hiroshima et de Nagasaki sans craindre d'être discriminés".
- Lumière aveuglante -
Reiko Yamada dit n'avoir pas subi cette stigmatisation, au prix du silence. "Ma famille n'en parlait jamais, même entre nous", témoigne-t-elle.
Le matin d'août où la bombe a été larguée sur Hiroshima, elle était assise à l'ombre d'un arbre dans la cour de récréation de son école, lorsqu'elle a vu un bombardier B-29 étincelant dans le ciel.
Elle se souvient ensuite d'une lumière aveuglante. De rafales de sable chaud qui l'ont projetée au sol. Du ciel assombri et d'une pluie noire de matières radioactives. D'une soudaine sensation de froid.
"Je ne savais pas ce qui se passait."
Reiko Yamada a appris plus tard qu'environ 2.300 corps avaient été brûlés dans l'enceinte de son école, suffisamment loin de l'épicentre pour ne pas avoir été totalement détruite.
"Il n'y avait aucune trace de leurs noms. Ils sont devenus des +personnes disparues+".
Aujourd'hui, alors que les guerres font rage dans le monde entier, Mme Yamada estime que le prix Nobel a validé le travail des survivants.
"J'espère transmettre notre rêve à ceux qui pourront en hériter et continuer."
(L.Kaufmann--BBZ)