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Après la chute de Bachar al-Assad, la Turquie cherche à affaiblir les forces kurdes soutenues par les États-Unis dans le nord-est de la Syrie, une démarche qui pourrait la mettre en désaccord avec ses alliés occidentaux, notamment Washington, alors que son chef de la diplomatie est attendu jeudi en Turquie.
Des rebelles proturcs ont annoncé cette semaine avoir pris le contrôle de Deir Ezzor et de Manbij après avoir ravi l'enclave septentrionale stratégique de Tal Rifaat.
Une médiation américaine a permis mercredi de conclure une trêve à Manbij, où les combats entre les forces pro-kurdes et des factions pro-Ankara ont fait 218 morts.
"La Turquie tente tout pour garantir que les Kurdes sortent affaiblis de ce processus", estime Irfan Aktan, journaliste et auteur de nombreux ouvrages sur la question kurde en Turquie.
"Ankara mobilise les factions proturques en Syrie pour détruire l'administration semi-autonome kurde. Mais cette attaque a pour l'instant été arrêtée grâce à une intervention des Américains", ajoute-t-il.
-Symboles de lutte contre l'EI-
Les Forces démocratiques syriennes (FDS) contrôlent de vastes régions du nord de la Syrie, où les Kurdes syriens ont instauré une administration autonome.
Les FDS, alliées des Occidentaux dans la lutte contre le groupe jihadiste Etat islamique (EI), sont considérées par la Turquie comme une émanation du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), classé par Ankara comme une organisation terroriste.
"Les organisations terroristes seront écrasées dès que possible" en Syrie, a affirmé mardi le président turc Recep Tayyip Erdogan en référence au Parti de l'Union démocratique (PYD), principale formation de l'administration autonome kurde en Syrie.
Selon des experts, Ankara pourrait rencontrer l'opposition de ses alliés occidentaux si ses actions visent à anéantir l'ensemble de l'administration autonome ou à frapper les villes kurdes symboles de la lutte contre l'EI, comme Kobané, dans le nord-est syrien.
Berlin a déjà exhorté mardi la Turquie à ne pas mettre en péril la possibilité d'une transition pacifique en Syrie au nom "des intérêts sécuritaires".
Un haut responsable de l'administration américaine a affirmé lundi que les Etats-Unis continueront de protéger leurs positions dans le nord-est syrien "pour contrer les efforts de l'EI et pour l'intégrité des FDS".
Pour Mutlu Civiroglu, analyste spécialisé sur la question kurde, basé à Washington, le chef de la diplomatie américaine Anthony Blinken tentera de convaincre la Turquie à limiter ses actions.
"La visite mardi des FDS par le chef du Commandement central américain (Centcom) est un message important à l'encontre de la Turquie", estime-t-il.
"La région contrôlée par les forces kurdes est la région la plus stable de la Syrie, garantissant les droits des femmes et des minorités. Or Hayat Tahrir al-Sham (HTS), qui a pris le pouvoir en Syrie, est un groupe islamiste radical. La dissolution de l'autonomie kurde pourrait être un facteur d'instabilité", ajoute-t-il.
- Position de force -
Pour Faik Bulut, écrivain spécialiste de la question kurde, Ankara souhaite chasser les forces kurdes à 30-40 km de distance de ses frontières sud.
"Erdogan voudrait profiter du vide avant l'arrivée au pouvoir de Donald Trump et contrôler cette région pour être en position de force lors des négociations avec le président américain sur la Syrie", affirme-t-il.
Le chef de l'Etat turc a affirmé début novembre qu'il voulait discuter avec M. Trump de la présence de troupes américaines dans le nord-est de la Syrie, en appui aux forces kurdes mobilisées contre l'EI.
Selon M. Bulut, après avoir "nettoyé" les FDS, Ankara souhaiterait les remplacer par le Conseil national kurde, un organisme kurde syrien proche du Parti démocratique du Kurdistan d'Irak, qui entretient de bonnes relations avec la Turquie.
"De cette manière, Erdogan pourrait endosser le rôle du protecteur des Kurdes qui correspond aussi à ses aspirations néo-ottomanes", estime-t-il.
- Main tendue -
Mais ces plans risquent aussi de mettre en danger le fragile processus de "main tendue" aux Kurdes de Turquie, lancé en octobre dernier par le gouvernement turc, en appelant le chef historique du PKK Abdullah Öcalan à annoncer la dissolution de son organisation.
"Je m'interroge sur les conséquences, sur la question kurde en Turquie, des développements en cours en Syrie", affirme une source occidentale sous couvert d'anonymat.
"Les Kurdes de Turquie suivent de près les actions d'Ankara en Syrie dont ils s'estiment très proches. Les Kurdes des deux côtés de la frontière ont des liens de parenté", rappelle Mutlu Civiroglu.
"La Turquie pourrait sortir de l'impasse actuelle si elle arrive à établir une grande paix avec les Kurdes, y compris avec les Kurdes de Turquie", estime Irfan Aktan.
(Y.Yildiz--BBZ)