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"J'ai l'impression que c'est une tante qui vit avec nous": à Cavaillon, dans le sud de la France, Audrey Jacquet et sa famille accueillent Marguerite, 86 ans, dont les proches vivent loin, un mode d'accompagnement des personnes âgées de plus en plus recherché.
Autour de la table de la cuisine, centre névralgique du foyer, c'est l'heure du goûter pour les enfants de neuf et 12 ans de Mme Jacquet ainsi que pour "Magguy", comme la surnomme la famille qui compte également trois chiens et un chat, et auprès de laquelle la vieille dame habite depuis des années.
"J'étais commerciale dans les assurances jusqu'en 2016 mais petite, je voulais être médecin ou infirmière (...). Au bout de onze ans de carrière, j'en ai eu marre parce que je voulais un métier plus humain", se remémore Audrey, 45 ans, qui est devenue aide à domicile avant de passer le concours d'aide-soignante.
"Je voulais une formation de base", explique-t-elle, même si pour être accueillant familial de personnes âgées ou handicapées, aucun diplôme n'est requis, "il suffit d'avoir un projet abouti d'accueil" et d'obtenir un agrément du conseil départemental.
En France, 4.750 seniors environ sont hébergés chez un accueillant familial, une goutte d'eau par rapport aux quelque 600.000 résidents que comptent les Etablissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).
"Pour des personnes qui n'ont plus beaucoup de famille, ce mode d'accompagnement correspond vraiment à leurs besoins: c'est un cocon", détaille Myriam Mazzocut, cheffe de service au département de Vaucluse, qui compte vingt familles d'accueil de personnes âgées ou en situation de handicap, soit quelque 60 places, un nombre "assez faible" par rapport à la demande. En France, le nombre de plus de 85 ans grimpe et atteindra 4,8 millions de personnes en 2050.
L'accueil familial permet un "accompagnement personnalisé" offrant une troisième voie entre le placement en institution et le maintien à domicile.
"On essaye de préserver la vie normale le plus possible", témoigne Nadia Chebil, 56 ans, qui accueille chez elle depuis 2019, en journée, des personnes souffrant de maladies neurodégénératives, un projet pilote.
Après avoir travaillé quinze ans comme aide-soignante dans une unité pour les malades d'Alzheimer, "j'ai démissionné de la fonction publique hospitalière parce que j'étais à la limite du burn-out. Comme j'aime mon métier, j'ai voulu continuer à l'exercer mais de manière humaine", poursuit la pétillante quinquagénaire qui s'occupe ce jour-là de trois personnes dans sa maison d'Arles (Bouches-du-Rhône).
"Quand je travaillais en Ehpad, ce que j'aimais le plus, c'étaient les sorties, leur faire faire des activités", ajoute celle qui fédère, via son association baptisée "La maison du droit au répit", de nombreux intervenants venant animer chez elle des ateliers d'art-thérapie, de théâtre ou de sophrologie.
- "Moins de médicaments" -
Ce jour-là, un photographe plein d'empathie, Gilles Garnier, essaye de faire retrouver à Mireille, 77 ans, et André-Pierre, 83 ans, atteints de la maladie d'Alzheimer, les gestes qu'ils exécutaient dans leurs professions respectives grâce à des prises de vue.
"C'est ce qui leur fait le plus de bien. Quand les journées sont bien occupées, qu'on a vu du monde et qu'on a continué à vivre une vie normale, on dort mieux le soir, on prend moins de médicaments", développe Nadia.
"J'ai toujours travaillé en équipe et je voulais garder cette dynamique de partage", ajoute celle qui ressent une souffrance grandissante face à un "turnover très très important" des personnes accueillies. Depuis le Covid, elles viennent sur des périodes de plus en plus courtes et sont de plus en plus jeunes.
A l'instar de Jean-Marie, 56 ans, souffrant de démence fronto-temporale.
"C'est une tornade", résume-t-elle en se tournant vers un grand homme au regard perdu, autrefois très sportif, qui ne tient pas en place.
"Vous mettez un monsieur comme ça en Ehpad, les soignants ne peuvent pas s'en sortir", poursuit l'accueillante familiale, qui reçoit l'aide de ses deux "assistants", ses chiens Plume et Saba, véritables "outils thérapeutiques", notamment lors des promenades.
"L'idée de départ, c'était de freiner l'évolution de la maladie, de faire gagner aux familles quelques années avant le passage en Ehpad", poursuit-elle.
"Quand les personnes n'ont plus trop d'autonomie, qu'elles ne sont plus trop communicantes, malheureusement, c'est difficile de leur proposer des choses" en institution. "Ici, ça se fait spontanément parce qu'elle est avec nous, on va l'inclure facilement dans ce qu'on fait", décrit Audrey Jacquet en évoquant la présence "bienveillante" de Magguy.
"On se tient chaud", poursuit l'accueillante, à qui son emploi à domicile permet de percevoir 2.000 euros net et aussi d'être présente auprès de ses enfants.
"Je suis l'aide-soignante la plus heureuse de France parce que j'ai une grande marge de liberté, je vois des gens heureux et des familles qui m'expriment leur joie", conclut pour sa part Nadia Chebil.
(P.Werner--BBZ)