AEX
-3.4300
En présentant d'abord une réponse rédigée par intelligence artificielle (IA) aux recherches des internautes, Google menace de remettre en cause une partie du modèle économique d'internet, en particulier pour les médias, déjà fragilisés.
Les traditionnels liens vers des pages internet n'ont pas disparu, mais avec AI Overviews, présenté mardi, ils sont relégués sous le texte proposé par l'IA générative, dont le contenu est susceptible de satisfaire, seul, la curiosité des utilisateurs.
"Cela va avoir un impact négatif sur les marques et les sites qui produisent du contenu et qui dépendent du trafic venu des moteurs de recherche", estime Paul Roetzer, du Marketing AI Institute. "Mais on ne sait pas à quel point ni même ce qu'on pourra y faire."
Le cabinet Gartner prédit que le volume généré par les moteurs de recherche traditionnel va se contracter de 25% d'ici 2026 avec l'émergence des applications d'IA générative.
Malgré cette révolution, Google ne peut pas se passer de la publicité et va devoir aménager son offre auprès des annonceurs. "Sinon, ils se seront scié la branche avec l'IA", avance David Clinch, du cabinet de conseil Media Growth Partners.
Hema Budaraju, de l'équipe de recherche de Google, assure que lors des tests menés sur Overview, les sites et les liens mis en avant dans la réponse "ont bénéficié d'un trafic plus élevé" que dans l'ancienne formule de recherche.
"La question, c'est qui choisit ces liens? Parce qu'il n'y en aura que quelques-uns" pour étoffer le texte généré par IA, s'interroge le consultant.
"Comment puis-je m'assurer que mes liens, mon site, mon contenu sont inclus dans ces résultats?", poursuit-il. "J'imagine qu'il faudra payer, ce qui n'est pas vraiment différent de ce qui existait jusqu'ici."
Déjà incontournable, Google renforce encore, avec Overviews, sa position d'intermédiaire entre internautes et sites internet.
- L'importance des sources -
"Google fait face à une pression immense", situe David Clinch. Car "d'autres acteurs ont déjà montré que l'IA", générative, qui répond à des demandes en langage courant, "pouvait se passer de liens ou de publicité", comme c'est le cas pour ChatGPT.
"Donc mardi, ils ont voulu faire passer le message qu'ils avaient de l'IA, quitte à définir un modèle économique dans un second temps", selon lui.
Il voit le fossé se creuser entre les grands acteurs du web et les petits, médias, entreprises, créateurs, "qui n'avaient déjà pas vraiment les moyens d'améliorer leur référencement" sur le moteur de recherche.
La mainmise croissante des géants de la tech sur la publicité a déjà privé d'air de nombreux médias de nouvelle génération, de BuzzFeed à Vice, en passant par The Daily Beast, Quartz ou Huffington Post, dont la vente d'espaces aux annonceurs est la principale source de revenus.
Mais elle a aussi asphyxié des publications locales ou régionales, qui ne parviennent souvent pas à convertir suffisamment de lecteurs en abonnés pour réduire leur dépendance et équilibrer leurs comptes.
Seule une poignée de titres d'importance nationale ou internationale, comme le New York Times et le Wall Street Journal, s'y retrouvent.
Pour Paul Roetzer, les créateurs de contenus, médias ou autres, doivent "chercher à diversifier" les canaux de diffusion et les moyens de générer du trafic, notamment via les réseaux sociaux, YouTube, TikTok, mais aussi les podcasts, "s'ils ne l'ont pas déjà fait".
L'avènement de l'IA générative comme interface de recherche n'est néanmoins pas encore acquis. Depuis le lancement de ChatGPT, en novembre 2022, les "chatbots" ont régulièrement fait parler d'eux pour des erreurs et des "hallucinations", c'est-à-dire des réponses saugrenues.
Overviews, comme le moteur de recherche Bing de Microsoft (dopé à l'IA ou ChatGPT), devra faire la preuve de sa fiabilité.
"Les sources vont avoir plus d'importance que jamais", prévient Jeff Jarvis, professeur de journalisme à l'université publique de New York (CUNY). "Et la question, c'est de savoir si les médias peuvent rendre leurs informations accessibles à ces systèmes pour gagner en exposition."
"Cela changerait le modèle économique, mais je pense que c'est une opportunité" pour la presse, dit-il.
Jusqu'ici, les médias ont, pour l'essentiel, attaqué en justice les grands modèles d'IA générative, accusés d'avoir pillé leurs contenus, ou essayé individuellement de les faire payer. "C'est chacun pour soi", regrette Jeff Jarvis, "alors que nous pourrions nous réunir pour réfléchir à la manière dont ce nouvel écosystème peut fonctionner."
(O.Joost--BBZ)