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Il y a 52.000 ans, la peau d'un mammouth laineux de Sibérie a été exposée à des conditions tellement glaciales qu'elle s'est spontanément lyophilisée, emprisonnant ses fragments d'ADN.
Des scientifiques viennent désormais d'utiliser cet échantillon pour reconstruire le génome en trois dimensions de l'animal. Une avancée qui pourrait aider à mieux comprendre les espèces disparues, et même stimuler les efforts visant à les ramener à la vie.
Jusqu'à présent, les spécimens d'ADN anciens retrouvés étaient généralement sous forme de fragments incomplets, limitant considérablement la quantité d'informations que les chercheurs pouvaient en extraire.
"Désormais, nous avons montré que dans certaines circonstances, ces fragments d'ADN ne sont pas les seuls à être préservés, mais aussi leur arrangement initial", a déclaré à l'AFP Olga Dudchenko, généticienne au Baylor College of Medicine et co-autrice de l'étude présentant ces résultats, publiés jeudi dans la revue Cell.
Comprendre l'architecture 3D du génome - l'ensemble complet de son ADN - est crucial pour identifier les gènes actifs liés à certains organes. Et ainsi comprendre par exemple comment les cellules du cerveau lui permettent de penser, celles du coeur qu'il batte, et celles du système immunitaire de combattre des maladies.
On a longtemps pensé qu'en raison de la dégradation rapide des très petites particules, ces informations seraient inévitablement perdues.
Mais il y a une dizaine d'années, une équipe internationale de scientifiques a entrepris de trouver un échantillon ancien dont l'organisation 3D de l'ADN était restée presque intacte, au point de pouvoir être entièrement reconstituée à l'aide d'une nouvelle technique.
Leur quête les a conduits à un échantillon de mammouth laineux exceptionnellement bien conservé, retrouvé dans le nord-est de la Sibérie en 2018.
On ne sait pas si le pachyderme -- une femelle -- est mort naturellement ou s'il a été tué par des humains. Mais il semble que des individus l'aient dépecé, tout en laissant intacte la peau autour de la tête, du cou et de l'oreille gauche.
- Viande séchée -
Les chercheurs ont supposé que la peau s'était congelée et déshydratée, passant à un état quasiment vitreux ayant emprisonné ses molécules et préservé la forme de ses chromosomes -- les structures contenant les brins d'ADN.
En somme, les chercheurs se sont retrouvés en présence d'un morceau de viande séchée de mammouth laineux.
Pour étudier sa résistance, ils ont soumis des morceaux de viande séchée moderne (fabriqués en laboratoire et achetés dans le commerce) à une série de tests simulant le type de dommages que les échantillons anciens sont susceptibles d'avoir subi au cours des millénaires.
"Nous lui avons tiré dessus avec un fusil. Nous l'avons écrasée avec une voiture", a décrit dans un communiqué Cynthia Perez Estrada, également co-autrice de l'étude.
À chaque fois, la viande séchée s'est brisée en petits morceaux. "Mais à l'échelle nanométrique, les chromosomes étaient intacts, inchangés", a expliqué cette chercheuse à l'université Rice.
L'une des découvertes majeures de ces travaux: établir que les mammouths possédaient 28 paires de chromosomes. Ce qui est cohérent avec les 28 paires des éléphants, les animaux vivants les plus proches des mammouths. Mais "avant cette étude, chacun pouvait faire sa propre supposition", selon Olga Dudchenko.
- "Dé-extinction" -
Les scientifiques ont également identifié plusieurs gènes qui pourraient être ceux donnant leurs caractéristiques aux mammouths laineux -- notamment un gène responsable de cils longs et épais.
Erez Lieberman Aiden, également mené l'étude, a déclaré à l'AFP que même si l'objectif du groupe de chercheurs n'était pas de ramener les mammouths à la vie, les informations récoltées pourraient aider.
Une équipe japonaise envisage de cloner des mammouths laineux, tandis qu'un groupe américain cherche à créer des éléphants génétiquement "mammouthisés".
Dans la peau, "96% des gènes sont fondamentalement dans le même état d'activité que chez un éléphant", a déclaré Erez Lieberman Aiden. Ce qui signifie que les scientifiques travaillant sur ces efforts de "dé-extinction" peuvent maintenant se concentrer sur les 4% restants.
Les auteurs de cette étude espèrent qu'elle puisse marquer le début d'un nouveau chapitre pour la paléogénétique, si d'autres échantillons de ce type sont découverts.
Selon Olga Dudchenko, le permafrost (ou pergisol) en Arctique reste un endroit prometteur où en chercher, mais les processus de momification de certaines anciennes civilisations, par exemple sur des animaux domestiques, pourraient aussi avoir permis de très bien conserver leur ADN.
(A.Lehmann--BBZ)